Molex coupe les vivres de son ex-usine près de Toulouse

Parce que 189 salariés viennent d’engager une action aux prud’hommes, pour contester leur licenciement, le groupe américain a décidé d’arrêter de financer le plan social. La CGT parle de méthodes mafieuses...
L’affaire avait fait grand bruit (voir nos articles précédents). Molex, c’est ce sous-traitant automobile dont les salariés avaient séquestré leurs cadres dirigeants voici un an et demi ; des “patrons voyous” , selon l’expression, à l’époque, du ministre de l’Industrie Christian Estrosi. Car le groupe américain avait décidé de fermer son usine française pour raison économique, alors que le secteur était florissant...

Depuis, l’usine de Villemur-sur-Tarn, près de Toulouse, a donc fermé. La plupart des salariés ont été licenciés en octobre 2009, avec indemnités de licenciement avantageuses et congé de reclassement de neuf mois. Ils se sont donc retrouvés au chômage en juillet dernier.
Les représentants du personnel, eux, avaient été licenciés six mois plus tard. 19 d’entre eux, encore en congé de reclassement, devaient être payés jusqu’en janvier prochain. Ce sont eux qui ont donné l’alerte : il n’ont pas touché leurs indemnités de septembre.

Le liquidateur leur a appris que la filiale française, Molex Automotive SARL, n’avait plus d’activité industrielle et qu’elle n’était donc “pas en mesure d’honorer l’échéance du 30 septembre”. En clair, la filiale française a mis la clé sous la porte, et la maison-mère, aux Etats-Unis, n’a pas l’intention de verser un centime de plus.

Pourquoi ? Il est un élément nouveau, selon le liquidateur : “la délivrance de 189 assignations devant le conseil des prud’hommes de Toulouse (...) visant à obtenir une indemnisation supplémentaire équivalent à cinq années de salaires (...), les conduisent à cesser purement et simplement toute forme de soutien financier à leur filiale française.”

Voilà qui fait bondir le délégué CGT : Guy Pavan parle de “méthodes mafieuses”. Quant au ministre de l’Industrie, qui avait été très en pointe sur le dossier, il “condamne avec la plus grande fermeté” cette attitude. Christian Estrosi “exige” que le groupe tienne ses engagements et assure qu’il emploiera “tous les moyens de droit possibles afin que Molex garantisse le paiement des sommes dues.”

L’équipementier automobile américain a augmenté son chiffre d’affaires d’un tiers en un an... La France, elle, se souvient que Molex refuse de financer le plan social de son ex-usine près de Toulouse. En représailles, le ministre de l’Industrie a demandé à Renault et PSA de ne plus avoir "le moindre échange commercial" avec Molex.

Les représailles paraîtront peut-être quelque peu dérisoires... En tout cas, l’histoire d’amour entre Molex et la France est définitivement terminée. Depuis, en fait, la fermeture de l’usine de Villemur-sur-Tarn, près de Toulouse, l’an dernier.
Mais les relations se sont envenimées ce mois-ci, quand on a appris que l’équipementier automobile américain refusait de continuer à financer le plan social de l’usine (voir notre article précédent).

Nouvel épisode aujourd’hui : Molex annonce des profits records. Un chiffre d’affaires de 897,7 millions de dollars, en hausse de 33% sur un an et un bénéfice net de 75,1 millions de dollars, contre une perte de 15,1 millions un an plus tôt. “Compte tenu de ces revenus et profits record, couplés à une organisation plus efficace qui résulte de la restructuration, nous augmentons le dividende de 14,8%”, annonce le PDG.

Une annonce qui n’est pas vraiment passée inaperçue... en France. Très en colère, Christian Estrosi, le ministre de l’Industrie, ne s’est pas privé de le faire savoir : “l’annonce ce matin du fait que Molex ait dégagé 75 millions de bénéfices dont 15% seront redistribués à leurs actionnaires est une démarche de mépris la plus totale, que ce soit à l’égard des salariés de Molex mais aussi du gouvernement français et de la justice de la France”.
Arrivent ensuite les représailles : “j’ai demandé ce matin à Renault et à PSA de cesser toute commande à l’égard de Molex pour qu’il n’y ait plus le moindre échange commercial”.

Un ancien délégué CGT de Molex-Villemur (Haute-Garonne), Guy Pavan, a jugé que la direction américaine s'en tirait "à bon compte" avec la liquidation judiciaire prononcée jeudi alors qu'elle a épuisé les actifs selon lui et laissé le soin à la collectivité de payer à sa place.
"C'est dégueulasse. L'entreprise licencie, le groupe se débrouille pour mettre l'entreprise sur la paille, la liquidation judiciaire est prononcée, et ce sont les collectivités qui paient.
Sur le principe, c'est inacceptable, lamentable", s'est-il indigné auprès de l'AFP.
"Ils ont pris des engagements avec l'Etat et ils se désengagent en refusant de financer le plan social. Ils s'en tirent à bon compte. Après avoir annoncé des bénéfices record, c'est la porte ouverte à tous les abus", s'est ému cet ancien ouvrier de l'usine de l'équipementier automobile à Villemur-sur-Tarn, près de Toulouse.
Molex a cessé de financer le plan social de son usine de Villemur-sur-Tarn (Haute-Garonne) et les élus du personnel n'ont pas reçu leur indemnité mensuelle de septembre et octobre, ni leur prime de départ.
Guy Pavan et le secrétaire du comité d'entreprise, Denis Parise, ont été convoqués par la police judiciaire, à la suite d'une plainte d'un ancien dirigeant qui avait été retenu pendant 24 heures dans son bureau par les salariés en 2009.
Pour Me Jean-Marc Denjean, l'avocat des salariés, la mise en liquidation judiciaire "signifie qu'une fois de plus les rapports de force sont plus efficaces que l'Etat de droit".
"Maintenant, il faut que l'Etat fasse en sorte que Molex assume ses obligations", a-t-il insisté.
Sur le plan juridique, il a assuré que les procédures engagées aux prud'hommes - près de 200 salariés sur 283 réclamant 25 millions d'euros - étaient maintenues alors que Molex demande leur retrait.

Denis Parise (Molex) sur France 2 mardi : "Je dirai des vérités à la télé"


Denis Parise: «Si le ministre Estrosi avait réellement du pouvoir sur Molex, il l'aurait exercé avant et l'on aurait encore tous notre travail./Photo DDM, archives

Invité mardi soir de l'émission «Face aux Français», sur France 2, Denis Parise soulèvera une nouvelle fois la question de ce qu'il nomme toujours «les patrons bandits».Rencontre.

Figure emblématique du combat des Molex, délégué du personnel élu conseiller régional, Denis Parise sera l'invité de Guillaume Durant, mardi soir, sur France2 dans l'émission « Face aux Français », intitulée ce jour « Fric, Krach et gueule de bois : le roman de la crise ». Il participera en deuxième partie d'émission à un débat avec Daniel Cohen et Erik Orsenna.

Comment se déroule cette émission ?

C'est un débat qui se déroule après un reportage. Nous enregistrons à 17 heures, comme un direct, et la diffusion se fait à 22h30. Je pourrai donc dire des vérités à l'écran et aussi de poser des questions.

Justement, quel message souhaitez-vous faire passer ? Quelles questions allez-vous soulever ?

La grande question aujourd'hui est : trouve-t-on normal que des entreprises qui dégagent de gros bénéfices continuent en toute impunité à mettre les gens à la porte ? Est-il normal que cela se fasse avec l'accord de tout le monde, y compris du gouvernement ? Et il n'y a pas que Molex, mais aussi Continental, Freescale etc..

Dans le cas Molex ça va plus loin, puisque le groupe ne paie plus le plan social pour punir des salariés engagés dans une procédure prud'hommale ? Où en est-on à ce jour ?

Je profite de mon déplacement à Paris pour rencontrer le liquidateur judiciaire. On a enfin reçu samedi nos salaires de septembre et octobre. Le reste est en négociation entre Molex, l'État et notre avocat. Mais il y aura forcément des contreparties.

Vous sous-entendez que Molex finira par payer les 4 à 5 millions dûs, avec un mais… ?

Tout à fait. Le PSE sera sans doute financé in fine, mais Molex refusera de payer les sommes réclamées aux prud'hommes. Inconcevable mais possible.

Vous ne croyez donc pas que le ministre Estrosi, qui avait fait de nombreuses annonces dans ce sens, puisse faire pression ?

Le Ministre fait des annonces aujourd'hui. S'il avait réellement dû pouvoir sur Molex, il l'aurait exercé avant et on aurait encore tous notre travail. Comme l'État aurait aussi refusé les licenciements des 19 salariés protégés ! Le groupe Molex fera de toute façon ce qu'il veut..

Pour couronner le tout, vous êtes convoqués à la PJ avec Denis Pavan, pour avoir retenu l'ancien dirigeant de la société. Que craignez-vous ?

Rien. Il est normal qu'ils nous entendent pour savoir s'il y faut donner une suite à la plainte. Je reste confiant car ce n'est pas Parise seul qui a retenu Marcus Kerriou, mais 300 salariés en colère d'avoir découvert que les produits étaient fabriqués en chine et aux USA pendant la grève.

Combien de salariés ont retrouvé un emploi aujourd'hui ?

Une centaine. Les autres, 188, sont au Pôle Emploi et demandent des comptes à Molex aux Prud'hommes, ce qui est normal car la raison économique invoquée n'est pas justifiée. En plus de cela, Molex a coupé les vivres pour les formations. Ces gens sont confrontés à de vraies difficultés.

Et vous, que retirez-vous personnellement de cette triste histoire ?

Que des patrons de sociétés qui font d'énormes bénéfices sont plus que des voyous, ce sont des bandits. Pour preuve, deux de nos anciens dirigeants ont été condamnés à 6 mois de prison avec sursis pour avoir enfreint nos lois…

Molex: la mort inéluctable...
Molex annonce la fermeture de son usine de Villemur en octobre 2008. S'en suivent des grèves, une journée ville morte, des levées de boucliers des élus et une retenue du patron de l'usine. Tout cela en vain. Fin 2009, Molex s'en va de Villemur-sur-Tarn, laissant sur le carreau 288 salariés dont une centaine a retrouvé un emploi à ce jour. Les salariés ont touché en moyenne 60 000 euros chacun mais début octobre, pour les punir de leur action prud'hommale, Molex met un terme au plan social laissant une ardoise d'environ 4 millions d'euros. Cela, en même temps que le groupe annonce une hausse « record » de ses bénéfices… Molex devient, tristement, une icône en France.

E.H