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textes d'hakim bey

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Message  demoniak01 Jeu 9 Déc - 13:02

L'argent et la religion hiérarchisée semblent être apparus au même moment mystérieux quelque part entre le début du Néolithique et le troisième millénaire avant J.C. à Sumer ou en Egypte. Mais qui est apparu en premier de la poule ou de l'œuf ? L'un n’est-il que la réponse de l'autre ou bien l'un n'est-il qu'un aspect de l'autre ?

Il n'y a aucun doute que l'argent possède une profonde connotation religieuse car, depuis le tout début de son apparition, il tend à prétendre à la condition spirituelle -- se retirant lui-même du monde des formes matérielles --, à transcender la matérialité, à devenir le seul véritable symbole efficace. Avec l'invention de l'écriture aux environs de 3100 avant J.C., l'argent comme nous le connaissons émerge d'un système de jetons d'argile représentants des biens matériels et prend la forme de lettres de crédit inscrites sur des tablettes d'argile ; presque sans exception, ces "chèques" semblent être liés à des dettes détenues par le Temple d'Etat et en théorie pourraient avoir été utilisés dans un vaste système d'échange de notes de crédit "frappées" par la théocratie. Les pièces n'apparaissent pas avant environ 700 avant J.C. en Asie Mineure Hellénique ; elles étaient faites d'électrum (mélange d'or et d'argent) non du fait que ces métaux avaient une valeur marchande mais parce qu'ils étaient sacrés -- le Soleil et la Lune ; le ratio de valeur entre eux a toujours été de 14 :1 non parce que la terre contient 14 fois autant d'argent que d'or mais parce la Lune met 14 jours solaires pour passer de sa phase sombre à sa phase pleine. Les pièces peuvent avoir leur origine dans le fait que les jetons du temple symbolisant une part du sacrifice des fidèles -- souvenirs saints, pouvaient ensuite être monnayés pour obtenir des biens car ils avaient la "mana" et non une simple valeur utilitaire. (Cette fonction peut être à l'origine, à l'Age de la Pierre, du commerce de pierres "cérémonielles" utilisées dans des rites de distribution de type "potlach".) Au contraire des notes de crédit mésopotamiennes, les pièces furent gravées d'images sacrées et furent considérées comme des objets "liminaux", points nodaux entre la réalité quotidienne et le monde des esprits (ainsi, la coutume de plier les pièces afin de les "spiritualiser" et de les jeter dans des puits qui sont les "yeux" de l'Autre Monde.) La dette elle-même -- l'essence véritable de l'argent -- est un concept hautement "spirituel". Comme tribut (dette primitive) elle exemplifie la soumission face à un "pouvoir légitime" d'expropriation, masqué par une idéologie religieuse -- mais comme "dette réelle et véritable" elle atteint à l'unique capacité spirituelle de se reproduire elle-même comme un être organique. Encore aujourd'hui, elle reste la seule substance "morte" dans le monde entier à posséder ce pouvoir -- "l'argent attire l'argent". A ce stade, l'argent commence à prendre un aspect "parodique" vis-à-vis de la religion -- il semble que l'argent veuille rivaliser avec Dieu, devenir un esprit immanent en une forme purement métaphysique qui néanmoins "dirige" le monde. La Religion doit prendre conscience de la nature blasphématoire de l'argent et le condamner comme contra naturam. L'Argent et la Religion entrent en opposition -- on ne peut servir à la fois Dieu et Mammon. Mais aussi longtemps que la religion continuera à se comporter en tant qu'idéologie de la "séparation" (Etat hiérarchisé, expropriation, etc.) elle n'arrivera jamais à s'atteler au problème de l'argent. Encore et encore des réformateurs apparaissent au sein de la religion pour chasser les marchands du Temple, et toujours ceux-ci reviennent -- et, en fait, assez souvent les marchands deviennent le Temple lui-même. (Ce n'est certes pas un accident si les bâtiments bancaires furent copiés de l'architecture religieuse.) Selon Weber, c'est Calvin qui a finalement résolu le problème avec sa justification théologique de "l'usure" -- mais cela ne porte pas crédit aux vrais Protestants, tels les Ranters et les Niveleurs qui proposèrent que la religion soit une fois pour toutes en opposition avec l'argent -- amenant ainsi l'avènement du Millenium. Il semble bien plutôt que l'on doit porter au crédit de l'Illuminisme la résolution du problème -- en se débarassant de la religion comme idéologie des classes dominantes et en la remplaçant par le rationalisme (et l'"Economie Classique"). Cette formule cependant fait mauvaise justice aux véritables Illuminati qui proposèrent le démantèlement de toutes les idéologies du pouvoir et de l'autorité -- cela n'aidera pas non plus à expliquer pourquoi les religions "officielles" ne réussirent pas à réaliser leur potentiel d'opposition et donne plutôt un support moral à l'Etat et au Capital.

Cependant, sous l'influence du Romantisme on voit apparaître -- à l'intérieur et à l'extérieur de la religion "officielle" -- un sens grandissant de spiritualité comme alternative aux aspects oppressifs du Libéralisme et de ses alliés artistiques/intellectuels. D'un côté ce courant mènera à une forme conservatrice-révolutionnaire à la réaction romantique (par exemple Novalis) -- mais d'un autre côté, il nourrira l'ancienne tradition hérétique (qui commença aussi avec l'"Aube des Civilisations" comme mouvement de résistance à la théocratie) -- et se trouva dans une étrange alliance avec le radicalisme rationaliste ; William , par exemple, ou les "Chapelles Blasphématoires" de Spence et de ses fidèles, représentent cette tendance. La rencontre de la spiritualité et de la résistance n'est pas un événement surréaliste ou anormal qui puisse être adouci ou rationalisé par l'"Histoire" -- elle occupe une position à la racine même du radicalisme ; -- et en dépit de l'athéisme militant de Marx ou de Bakounine (lui-même une sorte de mutant mystique ou "hérétique"), le spirituel reste inextricablement impliqué dans la "Bonne Vieille Cause" qu'il a aidé à créer.

Il y a quelques années, Régis Debray écrivait un article qui mettait en évidence la fait qu'en dépit des prédictions optimistes du matérialisme du XIXe siècle, la religion échappe toujours avec perversité à la disparition -- et que peut-être il était grand temps pour l'avènement d'une Révolution qui mette un terme à cette mystérieuse persistance. De culture catholique, Régis Debray s'était intéressé à la "Théologie de la Libération", elle-même une projection de la vieille quasi-hérésie des "Pauvres" Franciscains et de la redécouverte du "communisme de la Bible". S'il avait considéré la culture protestante, il aurait pu se souvenir du XVIIe siècle, et rechercher son véritable héritage ; s'il avait été musulman il aurait pu évoquer le radicalisme des Shi'ites ou des Ismaïli, ou l'anticolonialisme des néo-sufi du XIXe siècle. Chaque religion a ardemment appelé sa propre antithèse intrinsèque ; chaque religion a considéré les implications d'une opposition morale au pouvoir ; chaque tradition contient un vocabulaire de la résistance aussi bien que de la soumission à l'oppression. Pour parler largement, on peut dire que jusqu'à aujourd'hui cette "contre-tradition" -- qui est intérieure et extérieure à la religion -- a eu un "contenu répressif". La question de Debray concernait ce potentiel de réalisation. La Théologie de la Libération perdit beaucoup de son support au sein de l'église quand elle ne put plus servir cette fonction de rivale (ou de complice) au Communisme Soviétique ; et elle ne put plus servir cette fonction quand le Communisme s'effondra. Mais certains théologiens de la Libération semblèrent sincères -- et ils continuent à l'être (comme au Mexique) ; de plus, une tendance au sein du Catholicisme, exemplifiée dans le quasi-anarchisme scolastique d'Ivan Illich, subsiste encore dans ses origines. Des tendances similaires peuvent être identifiées au sein de l'Orthodoxie (Bakounine), du Protestantisme, du Judaïsme, de l'Islam, et (dans un sens quelque peu différent) du Bouddhisme ; de plus, dans les formes "survivantes" les plus pauvres de la spiritualité (Chamanisme) ou des syncrétismes afro-américains on peut trouver une cause commune avec de nombreuses tendances au sein des religions "majeures" sur des problèmes tels que l'environnement et la moralité de l'anti-Capitalisme. En dépit des éléments de la réaction romantique, de nombreux mouvements New-Age ou post New-Age peuvent également être associés à cette catégorie.

Dans un précédant essai, nous avons souligné les raisons de croire que l'effondrement du Communisme implique le triomphe de son unique opposant, le Capitalisme ; ainsi, selon la propagande néo-libérale globalisante, il n'y a plus qu'un seul monde qui existe aujourd'hui ; et cette situation politique a de grave implications pour la théorie de l'argent en tant que déité virtuelle (autonome, spiritualisée et toute puissante) de l'unique univers. Dans ces conditions, tout ce qui était auparavant une troisième voie (neutralité, retrait, contre-culture, le "Tiers Monde", etc.) se retrouve aujourd'hui dans une situation nouvelle. Il n'y a plus de seconde - et donc comment en concevoir une troisième ? Les "alternatives" se sont réduites catastrophiquement. Le Monde Unique est maintenant dans une position qui lui permet d'écraser tout ce qui a échappé son baisé extatique - grâce à cette malheureuse croisade essentiellement économique contre l'Empire du Mal. Il n'y a plus de troisième voie, plus d'alternative. Tout ce qui est différent sera maintenant réduit en une "mêmeté" de ce Monde Unique -- ou se trouvera en opposition avec ce monde. En acceptant cette thèse comme allant de soi, nous devons nous demander où la religion va se positionner sur cette nouvelle carte des "zones" de capitulations et de résistances. Si la "Révolution" a été libérée de l'incube oppressif soviétique et est redevenu un concept valable, sommes-nous finalement dans une position où nous pouvons tenter de donner une réponse à la question de Debray ?

Si l'on considère la "religion" dans son ensemble, en ce comprises des formes comme le chamanisme qui appartient plus à la Société qu'à l'Etat (selon les termes de l'anthropologie de Clastres) ; en ce compris les polythéismes, monothéismes et athéismes ; en ce compris le mysticisme et les hérésies tout comme les orthodoxies, les églises "réformées" et les "nouvelles religions" -- il est évident que le sujet ainsi considéré manque de définitions, de frontières, de cohérence et ne peut être remis en cause au risque de générer une kyrielle de réponses plutôt qu'une réponse simple. Mais la "religion" se réfère pourtant à quelque chose -- appelez cela une palette de couleurs dans le spectre du devenir humain -- et comme telle pourrait être considérée comme une entité dialogique et un sujet théorisable. Au sein du mouvement capitaliste triomphant - dans son instant processuel pour ainsi dire - toute religion peut être vue uniquement comme nulle, c'est-à-dire comme un bien qui doit être emballé et vendu, un actif à réaliser ou une opposition à éliminer. Toute idée (ou idéologie) qui ne peut être soumise à la "Fin de l'Histoire" du capitalisme doit être détruite. Ceci inclut à la fois la réaction et la résistance -- et plus encore l'"a-separatif" "re-liage" (religio) de la conscience avec l'"esprit" en tant qu'auto-détermination sans médiateur et créatrice de valeur -- le but originel de tout rituel et rite. La Religion, en d'autres mots, a perdu sa connexion avec le pouvoir au sein du monde du fait que ce pouvoir a migré hors de ce monde -- il a abandonné même l'Etat et parachevé la pureté de l'apothéose, comme dieu qui a "abandonné Antoine" dans le poème de Cavafy. Les quelques Etats (principalement Islamiques) où la religion détient le pouvoir sont localisés justement dans les régions les plus opposées au Capital -- (leur donnant ainsi d'aussi mauvais compagnons que Cuba !). Comme toute "troisième voie" la religion fait face une nouvelle dichotomie : capitulation totale ou révolte. Ainsi, le "potentiel révolutionnaire" de la religion apparaît clairement -- bien qu'il ne soit pas clair si la résistance peut prendre la forme de la réaction ou du radicalisme - ou si vraiment la religion n'est pas déjà battue - si son refus d'avancer est celle d'un ennemi ou d'un fantôme.

En Russie et en Serbie, l'Eglise Orthodoxe semble s'être impliquée dans la réaction contre le Nouvel Ordre Mondial et se trouve ainsi un nouveau sentiment de camaraderie avec ses anciens oppresseurs bolcheviques. En Tchétchénie, l'Ordre Sufi Naqshbandi continue sa lutte centenaire contre l'impérialisme russe. Au Chiapas, il y a une étrange alliance en les "païens" Mayas et les catholiques radicaux. Certaines factions du Protestantisme américain sont arrivées à un point de paranoïa et de résistance armée (mais même les paranoïaques ont des ennemis réels) ; alors que la spiritualité amérindienne semble animée d'un petit mais miraculeux regain de vitalité -- pas un simple Fantôme cette fois-ci, mais une position raisonnée et profonde contre l'hégémonie de la monoculture Capitaliste. Le Dalaï Lama apparaît parfois comme le seul "leader mondial" capable de parler vrai à la fois des reliefs de la répression Communiste et des inhumaines forces du Capitalisme, un "Tibet Libre" pourrait donner un certain point de focalisation pour un bloc "interconfessionnel" de petites nations et de groupes religieux alliés contre le social-darwinisme transcendantal du consensus. Le Chamanisme arctique peut réémerger en tant qu'idéologie de l'auto-détermination de quelques-unes des nouvelles républiques sibériennes -- et quelques "nouvelles religions" (comme le néo-paganisme occidental ou les cultes psychédéliques) appartiennent par définition au pôle de l'opposition.

L'Islam s'est posé lui-même comme l'ennemi de l'impérialisme chrétien et européen dès les premiers jours de son apparition. Tout au long du XXe siècle, l'Islam a fonctionné comme une "troisième voie" contre le Communisme et le Capitalisme, et dans le contexte du nouveau Monde Unique il constitue par définition un des rares mouvements de masse qui ne puisse être englobé dans l'unité d'un pseudo-"Consensus". Malheureusement, le fer de lance de la résistance -- le "fondamentalisme" -- tend à réduire la complexité de l'Islam à une idéologie artificiellement cohérente -- l'"Islamisme" -- qui échoue clairement à parler au désir humain normal de différence et de complexité. Le Fondamentalisme a déjà échoué à s'impliquer lui-même dans les "libertés empiriques" qui doivent constituer les revendications minimales de la nouvelle résistance ; par exemple, sa critique de l'"usure" est d'évidence une réponse inadéquate aux machinations du F.M.I. et de la Banque Mondiale. La "porte de l'Interprétation" de la Sharia doit être rouverte -- et non fermée à tout jamais -- et une alternative complète au Capitalisme doit émerger de cette tradition. Quoique l'on puisse penser de la Révolution Libyenne de 1969, elle a au moins eu la vertu d'être un essai de fusionner l'anarcho-syndicalisme de 68 avec l'égalitarisme néo-Sufi des Ordres Nord Africains et de créer un Islam révolutionnaire -- quelque chose de similaire peut être dit du "Socialisme Shi'ite" d'Ali Shariati en Iran, qui fut écrasé par l'ulémocratie avant d'avoir pu se cristalliser en un mouvement cohérent. Le fait est que l'Islam ne peut être rejeté en tant que puritanisme monolithique tel que décrit par les médias capitalistes. Si une coalition anticapitaliste originale doit apparaître dans le monde, cela ne peut se faire sans l'Islam. Le but de toutes théories capables de sympathie avec l'Islam, je crois, est d'encourager aujourd'hui ses traditions radicales et égalitaires et de réduire ses modes d'actions réactionnaires et autoritaires. Au sein de l'Islam persiste des figures mythiques comme le "Prophète Vert" et le guide occulté des mystiques, al-Khezr, qui pourraient devenir facilement des sortes de saints patrons de l'environnementalisme islamique ; et l'histoire offre de tels modèles comme le grand sufi algérien, le combattant de la liberté, l'Emir Abdel Kader, dont le dernier acte (en exil à Damas) fut de protéger les chrétiens syriaques contre la bigoterie des ulémas. A l'extérieur de l'Islam il existe un potentiel pour les mouvements "interconfessionnels" concernés par la paix, la tolérance et la résistance à la violence post-seculaire et post-rationaliste du néo-libéralisme et de ses alliés. En effet, le "potentiel révolutionnaire" de l'Islam même s'il n'est pas encore réalisé est toutefois réel.

Puisque c'est le Christianisme qui est la religion qui a donné "naissance" (selon la terminologie wébérienne) au Capitalisme, sa position par rapport à l'apothéose actuelle du Capitalisme est de fait plus problématique que celle de l'Islam. Pendant des siècles la Chrétienté s'est tournée vers elle-même et a construit une sorte de monde "fait pour croire", dans lequel un semblant de social peut persister (et encore seulement le dimanche) -- même lorsqu'elle maintenait l'illusion d'une quelconque relation avec le pouvoir. En tant qu'allié du Capital (avec son semblant d'indifférence à l'hypothèse de la Foi) contre le "Communisme Athée", la Chrétienté a pu préserver l'illusion du pouvoir -- au moins jusqu'aux cinq dernières années. Aujourd'hui, le Capitalisme n'a plus besoin du christianisme et du support social dont il a joui va bientôt s'évaporer. Déjà la reine d'Angleterre a du considérer le fait de ne plus être le Chef de l'Eglise anglicane -- et il est peu probable qu'elle sera remplacée par un quelconque Président de société commerciale ! L'Argent est Dieu -- Dieu est vraiment mort en fin de compte ; le Capitalisme a réalisé une hideuse parodie de l'idéal d'Illumination. Mais Jésus est un dieu mourant et en résurrection. Même Nietzsche a signé sa dernière lettre "insane" en tant que "Dionysos et le Crucifié" ; à la fin c'est peu être la seule religion qui puisse triompher de la religion. Au sein du christianisme, une myriade de tendances apparaît (ou ont survécus depuis le XVIIe siècle, tels les Quakers) cherchant à faire revivre ce Messie radical qui a purifié le Temple et promis le Royaume aux déshérités. En Amérique par exemple, il semble impossible d'imaginer un mouvement de masse qui puisse vraiment l'emporter contre le capitalisme (une certaine forme de "populisme progressiste") sans la participation des églises. De plus, la tâche théorique commence à se clarifier ; on n'a plus besoin de proposer une sorte d'"entrisme" au sein du christianisme organisé afin de le radicaliser par une conspiration de l'intérieur. Le but serait plutôt d'encourager un potentiel sincère et étendu du christianisme radical soit de l'intérieur en tant que fidèle honnête ou en tant que sympathisant sincère de l'extérieur.

Je m'attends à ce que ces idées rencontrent peu d'acceptation au sein de l'anarchisme traditionnel et athéiste ou des survivants du "matérialisme dialectique". Le radicalisme illuministe a longtemps refusé de ne reconnaître aucune racine autre qu'historique au radicalisme religieux. Comme résultat, la Révolution jette le bébé avec l'eau du bain de l'Inquisition ou de la répression puritaine. En dépit de l'insistance de Sorel au besoin de la Révolution à avoir un "mythe", elle préfère plutôt baser tout sur la "raison pure". Mais l'anarchisme et le communisme spirituel (tout comme la religion elle-même) ont échoué à disparaître. En fait, en devenant une anti-religion, le radicalisme est revenu à une sorte de mysticisme fait-maison, complet avec son rituel, son symbolisme et sa morale. Le remarque de Bakounine au sujet de Dieu -- que s'il existait, on devrait le tuer -- passerait pour de la pure orthodoxie au sein du Bouddhisme Zen ! Le mouvement psychédélique qui a offert une sorte de vérification "scientifique" (ou du moins expérimentale) de la conscience non-ordinaire, a mené à un degré de rapprochement entre la spiritualité et la politique radicale -- et la trajectoire de ce mouvement ne fait que commencer. Si la religion a "toujours" été impliquée dans une forme quelconque d'enthéogénèse ("naissance du dieu intérieur") ou de la libération de la conscience, certaines formes de propositions utopiques ou promesses d'un "paradis sur terre", et certaines formes d'actions militantes et positives pour une "justice sociale" comme plan de Dieu pour la création. Le Chamanisme est une forme de "religion" qui (comme Clastres l'a démontré) peut effectivement institutionnaliser la spiritualité contre l'émergence de hiérarchies et de séparations -- et toutes les religions possèdent en elles au moins une trace chamanique.

Toutes les religions peuvent démontrer une tradition radicale, d'une manière ou d'une autre. Le Taoïsme a produit les Bonnets Jaunes -- où les Tong collaborèrent avec l'anarchisme au sein de la révolution de 1911. Le Judaïsme a produit l'"anarcho-sionisme" de Marin Buber et Gershom Scholem (profondément influencé par Gustav Landauer et autres anarchistes de 1919), qui trouva sa voix la plus éloquente et paradoxale en Walter Benjamin. L'Hindouisme a donné naissance au parti terroriste Bengali ultra-radical -- et aussi à M. Gandhi, le seul théoricien de la révolution non-violent qui ait eu du succès au Xxe siècle. A l'évidence, l'anarchisme et le communisme n'arriveront jamais à s'entendre avec la religion sur des sujets tels que l'autorité et la propriété ; et peut-être peut-on dire que l'"Après-Révolution" verra de telles questions rester sans réponse. Mais il semble clair que sans la religion il n'y aura aucune révolution radicale ; l'Ancienne Gauche et la (vieille) Nouvelle Gauche ne peuvent se battre seules. L'alternative à l'alliance aujourd'hui est de regarder pendant que la Réaction coopte les forces de la religion et lance une révolution sans nous. Que vous le vouliez ou non, il est nécessaire de mettre en place une forme stratégie préemptive. La Résistance demande un vocabulaire au travers duquel notre cause commune peut être discutée.

Si tant est que l'on puisse classer tout ce qui précède sous la rubrique « sentiments admirables », nous nous trouverions nous-mêmes loin d'un programme d'action évident. La religion ne va pas nous "sauver" en ce sens (et peut-être que l'inverse est vrai !) -- en aucun cas la religion ne doit faire face à la même perplexité que toutes autres formes de la "troisième voie", en ce compris toutes les formes du radicalisme anti-autoritaire et anti-capitaliste. La nouvelle "totalité" et ses médias apparaissent tellement persuasifs que pour annihiler tout programme à tendance révolutionnaire, car tous les "messages" sont perçus de manière égale comme étant issus du Capital lui-même. Bien sûr la situation est désespérée -- mais la stupidité seule pourrait prendre cela comme raison de désespérer ou d'accepter la défaite. L'espoir contre l'espoir -- l'espoir révolutionnaire de Bloch -- appartient à une "utopie" qui n'est jamais tout à fait absente même lorsqu'il y est le moins présent ; et cela appartient aussi bien à la sphère religieuse dans laquelle le désespoir est le péché absolu contre l'Esprit Saint -- la trahison de la divinité intérieure -- l'échec à devenir humain. "Le devoir Karmique" au sens donné par la Bhagavad Gita -- ou au sens de "devoir révolutionnaire" -- n'est pas quelque chose d'imposé par la Nature, comme la gravité ou la mort. C'est un don gratuit de l'esprit -- on peut accepter ou refuser ce fait -- et chacune de ces attitudes est périlleuse. Le refuser c'est courir le risque de mourir sans avoir vécu. L'accepter est encore plus dangereux mais offre de plus intéressantes possibilités. Une version comme celle de Pascal Wager non pas celle sur l'immortalité de l'âme mais simplement sur sa simple existence.

Pour utiliser une métaphore religieuse (que nous avons jusqu'ici essayé d'éviter), le millenium a commencé 5 ans avant la fin de ce siècle, quand le Monde Unique est apparu et qu'il a banni toute dualité. Cependant, dans une perspective judéo-islamo-chrétienne, il est le faux millenium de l'"Anté-christ" ; qui n'est pas une personne (sauf peut-être dans le monde des Archétypes) mais une entité impersonnelle, une force contra naturam -- l'entropie travestie en Vie. Dans ce sens, le règne de l'iniquité doit et sera combattue dans le vrai millenium, l'avènement du Messie. Mais le Messie également n'est pas une simple personne issue du monde -- mais plutôt une collectivité dans laquelle chaque individualité est réalisée et donc (à nouveau métaphoriquement ou imaginalement) immortalisée. Le "Peuple-Messie" n'entre pas dans la "mêmeté" homogène ni dans la séparation infernale du capitalisme entropique mais dans la différence et la présence de la révolution -- la lutte, la "guerre sainte". Sur cette base seule nous pouvons commencer à travailler sur une théorie de la réconciliation des forces positives de la religion et des causes de la résistance. Ce qui nous est offert ici n'est que le début du commencement.
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Message  demoniak01 Jeu 9 Déc - 13:03

"Le Sabotage Artistique cherche à être parfaitement exemplaire mais en même temps garde une certaine forme d'opacité - pas de la propagande mais un choc esthétique - directement attirant tout en étant subtilement présenté - l'action comme métaphore. Le Sabotage Artistique est le côté obscur du Terrorisme Poétique - la création par la destruction - mais il ne peut servir aucun Parti, ni aucune forme de nihilisme, ni même l'art. Tout comme le bannissement de l'illusion amplifie la conscience, la démolition du fléau esthétique adoucit l'air du monde du discours, de l'Autre. Le Sabotage Artistique sert uniquement la conscience, l'attention, l'éveil. Le Sabotage Artistique transcende la paranoïa, la deconstruction - la critique ultime - l'attaque physique sur l'art nausébond - le djihad esthétique. La moindre trace du plus insignifiant égoïsme ou même de goût personnel abîme sa pureté et vicie sa force. Le Sabotage Artistique ne cherche jamais le pouvoir - il ne fait que le libérer.

Les réalisations artistiques individuelles (même les pires) sont largement hors de propos - le Sabotage Artistique cherche à détruire les institutions qui utilisent l'art afin de diminuer la conscience et le profit par l'illusion. Tel ou tel poète ou peintre ne peut être condamné pour manque de vision - mais les Idées pernicieuses peuvent être combattues par les objets qu'elles génèrent. La musique de supermarché est destinée à hypnotiser et à contrôler - on peut détruire son mécanisme.

Les autodafés de livres - pourquoi les rednecks et les Douaniers devraient-ils avoir le monopole de cette arme ? Les histoires d'enfants possédés par le diable ; la liste des bestsellers du New York Times ; les tracts féministes contre la pornographie ; les livres scolaires (plus particulièrement les livres d'études sociales, civiques, de Santé) ; des piles de New York Post, Village Voice et autres journaux de supermarché ; un choix de glanures de publications chrétiennes ; quelques romans de la collection « Arlequins » - une atmosphère festive, du vin des joints passant de mains en mains par un bel après-midi d'automne.

Jetter de l'argent à la Bourse fut un acte intéressant de Terrorisme Poétique - mais détruire l'argent aurait été un excellent acte de Sabotage Artistique. Pirater les émissions TV et y programmer quelques minutes de Chaos incendiaire constituerait un exploit de Terrorisme Poétique - alors que faire exploser la tour de transmission serait un Sabotage Artistique parfaitement adéquat. Si certaines galleries et musées méritent qu'on lance à l'occasion un pavé dans leurs vitrines - pas de destruction, mais une décharge d'autosatisfaction - alors qu'en est-il des banques ? Les galleries transforment la beauté en produit, mais les banques transmutent l'Imagination en déchets et en dettes. Le monde n'y gagnerait-il pas plus en beauté à chaque banque qui tremble...ou s'écroule ? Mais comment y parvenir ? Le Sabotage Artistique devrait probablement se tenir à l'écart de la politique (c'est si ennuyeux) - mais pas des banques.

Ne faites pas grève - pratiquer le vandalisme. Ne protestez pas - défigurez. Lorsque l'on vous impose la laideur, de mauvaises conceptions et un gaspillage stupide, contestez, et lancez votre chaussure dans les oeuvres, ripostez. Brisez les symboles de l'Empire au nom de rien si ce n'est l'envie de grâce du coeur.
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Message  demoniak01 Jeu 9 Déc - 13:04

ZONES AUTONOMES PERMANENTES
Hakim Bey

La question de la publicité
Accès
L'urgence d'une économie authentiquement alternative
Le " monde " finit en 1972
Festivals
La terre vivante
Typologie de la ZAP

La théorie de la TAZ (1) (I) essaie de s'occuper de situations existantes
ou émergentes plus que du pur utopisme. Partout dans le monde il y a des
gens qui sont en train de quitter ou en train de " disparaître " du gril
de l'aliénation, qui sont en train de chercher des manières de restaurer
le contact humain. Un exemple intéressant de cela - au niveau de la "
culture populaire urbaine " - peut être trouvé dans la prolifération de
réseaux et de conférences sur les hobbies. Récemment j'ai découvert les
zines de 2 de ces groupes, les joyaux de la couronne du suprême fil
électrique (dédié à la collection d'isolants électriques en cristal) et
une revue de cucurbitologie (La Calebasse). Une énorme quantité de
créativité est dédiée à ces obsessions. Les diverses rencontres
périodiques de compagnons-maniaques aboutissent à d'authentiques
festivals face-à-face (sans médiations) d'excentricité. Ce n'est pas
seulement la " contre-culture " qui cherche ses TAZs, ses campements
nomades et ses nuits de libération du consensus. Des groupes
auto-organisés et autonomes sont en train d'apparaître parmi toutes les "
classes " et " sous-culture ". De vastes étendues de l'empire babylonien
sont maintenant vides, peuplés seulement par les agents secrets des médias
de masse et par quelques policiers psychotiques.La théorie de la TAZ se rend compte que C'EST EN TRAIN DE SE PRODUIRE -
nous ne disons pas " devrait " ou sera - nous sommes en train de parler
d'un mouvement qui existe déjà. Notre usage de diverses expériences de la
pensée, des poétiques utopiques, de la critique paranoïaque, etc.,
prétend aider à clarifier ce mouvement, complexe et encore en grande
partie non documenté, lui donner un certain foyer théorique et conscience
de lui-même, suggérer des tactiques basées sur des stratégies intégrales
cohérentes - agir comme sage-femme ou comme panégyriste, pas comme "
avant-garde " ! Et ainsi nous avons du considérer le fait que toutes les
zones autonomes existantes ne sont pas " temporaires ". Quelques unes
sont (au moins en intention) plus ou moins " permanentes ". Certaines
lézardes dans le monolithe babylonien paraissent si vides que des groupes
entiers peuvent se mouvoir jusqu'à elles et s'y installer. Certaines
théories, comme la " permaculture " (II) ont été développées pour
affronter cette situation et en tirer tout le possible. " Villages ", "
communes ", " communautés ", et jusqu'aux " arcologies " et " biosphères
" (ou d'autres formes de villes utopiques) sont en train d'être
expérimentées et menées à bien. Néanmoins même ici la théorie de la TAZ
peut offrir quelques outils de pensée et des clarifications utiles. Qu'en
est-il d'une poétique (une " manière de faire ") et d'une politique (une
" manière de vivre ensemble ") pour la TAZ permanente (ou " PAZ ") ?
Qu'en est-il de la relation entre la temporalité et la permanence ? Et
comment la PAZ peut-elle se rénover et se rafraîchir périodiquement avec
l'aspect " festif " de la TAZ ?

La question de la publicité

De récents succès aux USA et en Europe ont montré que les groupes
auto-organisés/autonomes portent la crainte au cœur de l'Etat. MOVE à
Philadelphie (III), les koreshites de Waco (IV), les deadheads, les
tribus de l'Arc en ciel, les pirates informatiques, les squats, etc., ont
été les objectifs de divers niveau d'intensité d'extermination. Et même
ainsi d'autres groupes ne sont pas perçus, ou au moins ne sont pas
persécutés. Qu'est ce qui cause cette différence ? Un facteur peut être
l'effet pervers de la publicité ou de la médiatisation. Les médias
ressentent une soif vampirique pour l'œuvre de l'ombre et une passion
pour le " Terrorisme ", le rituel public d'expiation, les
boucs-émissaires et les sacrifices sanglants de Babylone. Une fois qu'un
quelconque groupe autonome permet que ce " regard " particulier tombe sur
lui, les choses deviennent pourries : les médias tenteront d'organiser un
mini-armageddon pour satisfaire leur sale désir de spectacle et de mort.
Maintenant, la PAZ représente une bonne cible immobile pour une telle
bombe intelligente médiatique. Assiégé à l'intérieur de son " composé ",
le groupe auto-organisé peut seulement succomber à un type quelconque de
martyr prédéterminé et bon marché. Probablement, ce rôle peut seulement
attirer des masochistes névrosés ??? En tout cas, la plupart des groupes
voudront vivre leur durée ou trajectoire naturelle dans la paix et le
calme. Une bonne tactique ici peut être d'éviter la publicité des médias
de masse comme la peste. Un peu de paranoïa naturelle est utile, pour
autant qu'elle ne se transforme pas en une fin en soi. Il faut être rusé
pour pouvoir être audacieux et bien s'en sortir. Une touche de
camouflage, une aptitude pour l'invisibilité, un sens du tact comme
tactique pourrait être utiles aussi bien à une PAZ qu'à une TAZ. Humbles
suggestions : utiliser seulement des " médias intimes " (zines, réseaux
téléphoniques, BBSs (V), radios libres et mini-FM, télé câblée d'accès
public, etc.) ; éviter les attitudes confrontationnistes de macho fanfaron
- vous n'avez pas besoin de 5 secondes au journal télévisé (" La police
donne l'assaut à une secte ") pour donner du sens à votre existence. Notre
slogan pourrait être : " Cherche la vie, pas un style de vie (2) ".
Accès

Les gens devraient probablement choisir avec quelles personnes vivre. Les
communes à " participation ouverte " finissent invariablement inondées de
parasites et de pitres pathétiques affamés de sexe. Les PAZ doivent
choisir mutuellement leur propre membres - ceci n'a rien à voir avec "
l'élitisme ". La PAZ peut exercer une fonction temporairement ouverte -
comme héberger des festivals ou distribuer de la nourriture gratuite -,
mais n'a pas besoin d'être ouverte en permanence à n'importe quel
sympathisant auto-proclamé qui passe par là.

L'urgence d'une économie authentiquement alternative

Une fois de plus, ceci est déjà en train de se produire, mais nécessite
encore une énorme quantité de travail avant de sortir à la lumière. Les
sous-économies du " travail au noir ", les transactions non-taxées, le
troc, etc., tendent à être sévèrement limitées et localisées. Les BBSs et
autres systèmes de réseaux peuvent être utilisés pour unir ces économies
régionales/marginales (" entreprises domestiques ") en une économie
alternative viable d'une certaine ampleur. " P. M ." a déjà ébauché
quelque chose comme cela dans " bolo'bolo " (VI) - de fait il existe déjà
de nombreux systèmes possibles, au moins en théorie. Le problème est :
Comment construire une véritable économie alternative, c'est à dire une
économie complète sans attirer le ministère des Finances et autres chiens
de chasse capitalistes ? Comment puis-je échanger mes aptitudes de,
disons, plombier ou distillateur d'alcool pour les aliments, les livres,
le toit et les plantes psycho-actives que je veux - sans payer d'impôts,
ou y compris sans utiliser aucun argent forgé par l'Etat ?Comment puis-je vivre une vie confortable (et même luxueuse) libre de
toute interaction et transaction avec le monde de la marchandise ? Si nous
prenions toutes les énergies que les gauchistes mettent dans les manifs et
toute l'énergie que les libertaires (3) mettent à jouer à de futiles
petits jeux de troisième parti, et si nous redirigions tout ce pouvoir
vers la construction d'une véritable économie souterraine, cela ferait
longtemps que nous aurions atteint " la révolution ".
Le monde finit en 1972

L'effigie creuse de l'Etat absolu est finalement tombée à terre en " 1989
". L'ultime idéologie, le capitalisme, n'est plus qu'une maladie de peau
du Néolithique très tardif. C'est une machine-désirante qui tourne à
vide. J'ai l'espérance de la voir se dissiper durant ma vie, comme un des
paysages mentaux de Dali. Et je veux avoir un endroit où " aller " quand
la merde tombe. Evidemment la mort du capitalisme n'implique pas
nécessairement la destruction à la Godzilla de toute la culture humaine ;
ce scénario est simplement une image de terreur propagée par le
capitalisme lui-même. Néanmoins, il est évident que le cadavre rêvant
aura de violents spasmes avant que la rigor mortis (VII) ne s'installe -
et New-York ou Los Angeles peuvent ne pas être les endroits les plus
intelligents pour attendre que se termine la tempête. ( Et la tempête
peut avoir déjà commencé). [D'un autre coté NYC et LA pourraient ne pas
être les pires endroits pour créer le Monde nouveau ; on peut imaginer
des quartiers entiers squattés, des gangs transformés en Milices
Populaires, etc.]. Maintenant, le mode de vie gitano-Réalité Virtuelle
peut être une manière d'affronter la dissolution en cours du Capitalisme
Trop tardif - mais en ce qui me concerne, je préfèrerai un beau monastère
anarchiste quelque part, un endroit typique pour que les " érudits "
supportent " l'âge obscur " (4). Plus nous organisons cela MAINTENANT,
moins nous aurons de problèmes à affronter ensuite. Je ne suis pas en
train de parler de " survie " -- je ne suis pas intéressé par la simple
survie. Je veux m'épanouir. RETOURNONS A L'UTOPIE.
Festivals

La PAZ a une fonction vitale, comme un nœud dans le réseau des TAZ, un
point de rencontre pour un ample cercle d'amis et alliés qui peuvent ne
pas vivre de fait à temps complet dans la " ferme " ou dans le " village
". Les anciens villages célébraient des foires qui apportaient richesse à
la communauté, fournissaient des marchés pour les voyageurs et créaient
un temps/espace festif pour tous les participants. Aujourd'hui le
festival est en train d'émerger comme une des formes les plus importante
pour la TAZ elle-même, mais il peut aussi apporter une rénovation et une
énergie fraîche pour la PAZ. Je me rappelle avoir lu quelque part qu'au
Moyen-Âge il y avait cent onze jours fêtés par an ; nous devrions prendre
ceci comme notre " minimum utopique " et nous efforcer de faire encore
mieux. [ Note : les minimas utopiques proposés par C. Fourier (VIII)
consistaient en plus de nourriture et de sexe que ce dont profitait
l'aristocrate français moyen du XVIIIème siècle ; B. Fuller proposa
l'expression " minimum dénudé " pour un concept similaire]

La terre vivante

Je crois qu'il y a une abondance de bonnes raisons égoïstes pour désirer
l' " organique " (c'est plus sexy), le " naturel " (ça a meilleur goût),
le " vert " (c'est plus beau), le " sauvage " (5) (c'est plus excitant).
La communitas (comme Paul Goodman (IX) l'appelait (6)) et la convivialité
(comme l'appelait Ivan Illich (X) ) sont plus plaisantes que leurs
opposés. La terre vivante n'a pas besoin d'exclure la ville organique -
la petite mais intense conglomération d'humanité dédiée aux arts et aux
plaisirs légèrement décadents d'une civilisation purgée de tout son
gigantisme et solitude forcée - mais même ceux d'entre nous qui aimons
les villes nous pouvons voir des motifs immédiats et hédoniques de lutter
pour " l'environnement ". Nous sommes des militants biophiles. Ecologie
profonde, écologie sociale, permaculture, technologie appropriée… nous ne
sommes pas trop minaudiers avec les idéologies. Que fleurissent 1000
fleurs.

Typologie de la PAZ

Une " religion étrange " ou un mouvement d'art rebelle peut se convertir
en une espèce de PAZ non locale, comme un réseau de hobby plus intense et
accaparant. La Société Secrète (comme le Tong chinois (XI) ) fournit
aussi un modèle pour une PAZ sans limites géographiques. Mais le "
scénario du cas parfait " implique un espace libre qui s'étend dans un
temps libre. L'essence de la PAZ doit être l'intensification prolongée
des joies - et des risques - de la TAZ. Et l'intensification de la PAZ
sera… l'Utopie Maintenant.

Hakim Bey
Dreamtime, août 1993

NOTES :

Il s'agit des notes de la version en espagnol trouvée sur internet. 1)
TAZ : sigle de " Temporary Autonomous Zone ", Zone Autonome Temporaire.
Théorie développée par Bey que ce texte élargit. 2) Dans l'original "
lifestyle ", terme avec lequel on peut désigner des tendances déterminées
(comme le " lifestyle anarchism ") plus préoccupées par le quotidien et
l'individuel que par le social, au moins d'après ce qu'en disent ses
détracteurs, comme Murray Bookchin. 3) " Libertaire " prend ici le sens
qu'on lui donne communément aux Etats-Unis, d'anarcho-capitaliste, qui a
très peu à voir (à part l'aversion pour l'Etat, qu'ils considèrent comme
trop interventionniste contre la liberté du marché) avec ce que nous
entendons ici par libertaire. Durant les années 80 le Parti Libertaire
atteignit une certaine importance, arrivant à être le troisième en votes,
bien que loin derrière les démocrates et les républicains. 4) On désigne
souvent en anglais le Moyen-Âge par ce nom (" Dark Ages "). 5) Dans
l'original, " wild(er)ness ", qui évoque à la fois le " sauvage " et la "
nature à l'état pur ". 6) Dans le livre qui porte ce titre, écrit avec
son frère Percival et publié en 1947.

Indiquées par des chiffres romains, voici les notes rajoutées par la
personne qui a effectué cette traduction en français.

I) TAZ a été publié en France en 1997 par les Editions de l'éclat et est
téléchargeable gratuitement sur internet. II) La permaculture est un type
de culture biologique qui s'abstient de labourer ou de retourner la
terre, ceci afin d'éviter de faire disparaître de nombreux
micro-organismes qui y vivent et qui sont bénéfiques pour la culture en
général. Les surfaces cultivées sont recouvertes de mulch, un tapis de
matières végétales mortes avant d'être ensemencées. III) MOVE était un
mouvement afro-américain basé à Philadelphie Ce mouvement à caractère
subversif et spirituel s'est rapidement attiré la haine de la police
locale. Sa principale communauté militante a été assiégée par la police
le 8 août 1978. Celle-ci a largué par hélicoptère une bombe incendiaire
sur la maison occupée par MOVE, provoquant un vaste incendie qui a ravagé
prés de 60 maisons et provoqué la mort de 11 personnes membres de MOVE
(dont plusieurs enfants). IV) Une secte apocalyptique, les Koreshites
(ou davidiens), menée par un gourou nommé David Koresh qui se prenait
pour un nouveau messie, s'était établie dans une ferme à Waco (Texas). La
secte détenant des armes en quantité, la police a encerclé la ferme et a
donné l'assaut suite au refus des Koreshites de se laisser
perquisitionner. Le 1er assaut s'est soldé par 6 koreshites et 4
policiers tués. Un deuxième assaut mené le 19 avril 1993 a déclenché un
incendie dans la ferme. 80 personnes y sont mortes. V) Les BBSs (Bulletin
Board Systems) sont des serveurs télématiques où des abonnés ou des
membres d'une association peuvent se connecter et échanger entre eux des
informations. On trouve de tels serveurs sur internet par exemple. VI)
Bolo'bolo est un livre, écrit au début des années 80 par un mystérieux
P.M., qui expose un projet utopique de réorganisation sociale
communautaire sur une vaste échelle. Il est disponible aux Editions de
l'Eclat. VII) On peut traduire cette expression latine par " rigidité
cadavérique ". VIII) Charles Fourier (1772-1837) fut un philosophe et un
penseur social français qui préconisait la réorganisation de la société
en phalanstères, en petites communautés humaines autonomes abritant des
coopératives de production et de consommation. IX) Paul Goodman
(1911-1972) était un libertaire américain, écrivain et critique social,
féru de pédagogie anti-autoritaire. X) Ivan Illich (1926-2002), prêtre
(défroqué en 69) et penseur social, auteur de nombreux ouvrages très
critiques sur l'école, la santé, la convivialité, l'énergie… Il anima
durant les années 60 et 70 le Centre International de DOCumentation
(CIDOC) au Mexique, un carrefour intellectuel pour de nombreux chercheurs
et pédagogues contestataires. XI) Les tongs sont des sociétés secrètes
d'origines chinoises où se pratiquaient l'entraide et l'appui mutuel
autour d'objectifs communs : activités subversives ou religieuses,
contrebande et trafics… Hakim bey a d'ailleurs écrit un petit texte,
traduit en français (et téléchargeable gratuitement sur internet en
cherchant un peu), sur le sujet et l'intérêt que cette forme
d'organisation solidaire clandestine peut représenter pour des minorités
en marge du système.
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Message  demoniak01 Jeu 9 Déc - 13:06

"C'est une danse étrange et nocturne dans les guichets automatiques des banques.Des feux d'artifice tirés illégalement. L'art-paysager, des travaux de terrassement, ou des objets bizarres dans les Parcs Publics. Rentrez par effractions dans des maisons, mais au lieu de les cambrioler, laissez y des objets de terrorisme poétique. Kidnappez quelqu'un et rendez-le heureux. Prenez une personne au hasard et persuadez la qu'elle vient d'hériter d'une fortune colossale, inutile et surprenante - 1000 hectares en Antarctique, un éléphant de cirque trop vieux, un orphelinat à Bombay, ou une collection de vieux manuscrits alchimiques. Cette personne réalisera plus tard que durant un moment, elle a cru en quelque chose d'extraordinaire, et elle sera peut-être amenée à rechercher un autre mode de vie, plus intense.


Erigez des plaques commémoratives en cuivre dans les endroits (publiques ou privés) où vous avez connu une révélation ou une expérience sexuelle particulièrement satisfaisante...


Go naked for a sign.


Organisez une grève dans votre école ou sur votre lieu de travail sous prétexte que vos besoins en indolence et en beauté spirituelle n'y sont pas satisfaits.


Les graffitis apportent une certaine grâce aux métros si laids et aux monuments publiques si rigides - le Terrorisme Poétique peut également servir dans les endroits publiques : des poèmes gribouillés dans les toilettes des palais de justice, de petits fétiches abandonnés dans les parcs et les restaurants, des photocopies artistiques placées sous les essuie-glaces des pare-brise des voitures en stationnement, des Slogans écrits en Caractères Enormes collés sur les murs des cours de récréations ou des aires de jeux, des lettres anonymes postées au hasard ou à des destinataires sélectionnés (fraude postale), des émissions radio pirates, du ciment humide....


La réaction du public ou le choc esthétique produit par le Terrorisme Poétique devra être au moins aussi intense que le sentiment de terreur - de dégoût puissant, de stimulation sexuelle, de crainte superstitieuse, d'une découverte intuitive subite, d'une peur dadaesque - il n'est pas important que le Terrorisme Poétique soit destiné à une ou plusieurs personnes, qu'il soit " signé " ou anonyme, car s'il ne change pas la vie de quelqu'un (hormis celle de l'artiste), il échoue.


Le Terrorisme Poétique n'est qu'un acte dans un Théâtre de la Cruauté qui n'a ni scène, ni rangées, ni sièges, ni tickets, ni murs. Pour fonctionner, le Terrorisme Poétique doit absolument se séparer de toutes les structures conventionnelles de consommation d'art (galeries, publications, médias). Même les tactiques de guérillas Situationnistes comme le théâtre de rue sont peut-être actuellement trop connues et trop attendues.


Une séduction raffinée, menée non seulement dans l'optique d'une satisfaction mutuelle, mais également comme un acte conscient dans une existence délibérément belle - pourrait être l'acte ultime de Terrorisme Poétique.
Le Poète Terroriste se comporte comme un farceur de l'ombre dont le but n'est pas l'argent mais le CHANGEMENT.


Ne pratiquez pas le Terrorisme Poétique pour d'autres artistes, faites le pour des gens qui ne réaliseront pas (du moins durant quelques temps) que ce que vous avez fait est de l'art. Evitez les catégories artistiques identifiables, évitez la politique, ne traînez pas pour éviter de raisonner, ne soyez pas sentimentaux ; soyez sans pitié, prenez des risques, pratiquez le vandalisme uniquement sur ce qui doit être défiguré, faites quelque chose dont les enfants se souviendront toute leur vie - mais ne soyez pas spontanés à moins que la Muse du Terrorisme Poétique ne vous possède.


Déguisez-vous. Laissez un faux nom. Soyez mythique. Le meilleur Terrorisme Poétique va contre la loi, mais ne vous faites pas prendre. L'art est un crime ; le crime est un art.".
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Message  demoniak01 Jeu 9 Déc - 13:07

Les niveaux d’une organisation Immédiatiste : 1 – Le Rassemblement.Il pourrait prendre n’importe quelle forme de la soirée entre amis à l’émeute. Il peut être planifié ou non selon la spontanéité du « really happen » (terme qui veut dire « qui arrive réellement », ndt). Par exemples : un rassemblement anarchiste, une célébration néo-paganiste, une « rave », une brève émeute urbaine ou une démonstration spontanée. Bien sûr, les meilleurs rassemblements deviennent des TAZ (Temporary Autonomous Zone – « Zone Autonome Temporaire », ndt) comme les « Be-In » des années 60 , les rassemblements tribaux des premiers « Rainbow », ou l’Emeute de Stonewall. 2 – Le Potlach horizontal. Une réunion d’un jour d’un groupe d’amis en vue d’échanger des présents. Une orgie organisée pourrait tomber dans cette catégorie, le cadeau en étant le plaisir sexuel – ou un banquet, le présent étant alors la nourriture.

3 – La Réunion. Tout comme la réunion d’étude, la Réunion Immédiatiste consiste en un groupe d’amis qui se rencontrent régulièrement afin de collaborer à un projet spécifique. La Réunion pourrait servir en tant que comité organisateur pour un rassemblement ou un potlach, ou en tant que créatrion collaborative, un groupe « d’affinité » pour une action directe, etc. La Réunion est comme une Echelle de Passion dans le système de Fourrier, un groupe uni par une passion commune qui peut être uniquement réalisée par le groupe.

4 – Quand la Réunion acquiert une adhésion de ses membres plus ou moins permanente et un but plus large qu’un simple projet – un projet courant, disons – elle peut soit devenir un « club » ou une « Gessellschaft » (Société en allemand, ndt) organisé non-hiérarchiquement pour une activité ouverte, ou bien un « Tong » organisé non-hiérarchiquement mais clandestinement pour une activité secrète. Le Tong est d’un intérêt plus immédiat pour nous pour des raisons tactiques et aussi parce que le club opère dans le danger d'être « institutionnalisé » et donc (selon la phrase d’Ivan Illich) d’être « d’une contre-productivité paradoxale » (c’est à dire, que comme l’institution tend à la rigidité et au monopole elle commence à produire les effets opposés à ceux de son but originel. Les sociétés fondées pour la « liberté » devienne autoritaire, etc.). Le Tong Traditionnel est aussi sujet à cette trajectoire, mais un Tong Immédiatiste est construit, pour parler ainsi, afin de s’auto-détruire quand il n’est plus capable de servir son objectif.

5 – La TAZ peut émerger de n’importe laquelle des catégories ci-dessus, prise individuellement, en séquence ou ensemble. Ainsi, j’ai dit que la TAZ peut durer aussi brièvement qu’une nuit ou aussi longtemps que quelques années, ceci n’étant qu’une simple règle, et il est probable que beaucoup d’exemples tombent entre ces deux extrêmes. Une TAZ, cependant, est plus qu’aucune autre des 4 autres premières formes en ceci que sur sa durée elle capte l’attention de tous ses participants ; elle devient (brièvement) une société à part entière.

6 – Finalement, dans l’insurrection, la TAZ brise ses propres frontières et se répand (ou désire se répandre) au dehors dans le « monde entier », l’ensemble du temps/espace immédiatement disponible. Tant que l’insurrection dure, et ne s’est pas soldée par la défaite ou par une transformation en « Révolution » (qui aspire à devenir permanente), l’Insurrection garde la conscience de la plupart de ses adhérents dirigée vers cet insaisissable autre mode d’intensité, de clarté, d’attention, de réalisation individuelle ou collective, et (pour être abrupt) vers cette joie si caractéristique de ces grands soulèvements sociaux comme la Commune, ou 1968. D’un point de vue existentiel (et nous invoquons ici Stirner, Nietzsche et Camus), cette joie est le véritable but de l’insurrection.



Les buts d’une organisation Immédiatiste


1 – La Convivialité : rassemblement dans la promiscuité physique du groupe pour une amélioration synergique des plaisirs de ses membres.

2 – La Création : la création collaboratrice, directe et sans intermédiaire, d’une « nécessaire beauté », en dehors de toutes structures « d’hypermédiation », d’aliénation, de mercantilisation [Note : je n’utilise pas ici le terme d’hypermédia dans le sens qui lui est donné par nos camarades de Xexoxial Endarchy, qui appellent hypermédia la seule appropriation de tous les médiums créatifs en un simple effet… J’utilise « hypermédiation » pour signifier la représentation exacerbée à un niveau d’aliénation insupportable d’une image de la marchandise.] Depuis longtemps nous sommes las de jouer sur les mots et si vous ne savez pas ce que je veux dire par « nécessaire beauté » vous feriez mieux d’arrêter votre lecture ici. « L’Art » est seulement une sous-catégorie possible de ce mystère et pas nécessairement la plus vitale.

3 – La Destruction : nous allons plus loin que Bakounine et disons qu’il n’y a pas de création sans destruction. La notion même d’apporter quelque beauté nouvelle implique que l’ancienne laideur doit être rejetée ou détruite. La beauté se définit elle-même en partie (mais de manière précise toutefois) en détruisant la laideur qui n’est pas elle-même. Dans notre version du mythe sorélien de la violence sociale, nous suggérons qu’aucun acte Immédiatiste n’est complètement authentique et efficace sans à la fois la création et la destruction : la totalité de la dialectique Immédiatiste est impliquée dans toute « action directe » Immédiatiste, à la fois la création-dans-la-destruction et la drestruction-dans-la-création. De là le « terrorisme poétique », par exemple ; et de là le véritable but ou « télos » de toutes nos formes d’organisation est :

4 – la Construction de valeurs. « L’expérience maximale » de Maslow est formatrice de valeurs à un niveau individuel ; la réalité existentielle de la Réunion, du Tong, de la TAZ ou de l’Insurrection permet à une « réévaluation des valeurs » de s’écouler à partir de son intensité collective. Une autre manière de présenter les choses serait « la transformation de la vie de tous les jours ».

Le lien entre l’organisation et le but est la tactique. En termes simples, que fait une organisation Immédiatiste ? Notre « stratégie » est d’optimiser les conditions pour l’émergence de la TAZ (ou même de l’Insurrection) – mais quelles actions spécifiques peuvent-elles être entreprises afin de mettre sur pieds cette stratégie ? Sans tactique, l’organisation Immédiatiste ferait tout aussi bien de se disperser. « L’action directe » devrait dépasser la « cause » mais devrait également être en mesure à la fois de cibler son but et de s’identifier à son but. Nous ne pouvons pas utiliser des tactiques qui sont limitées à la médiation ; chaque action doit réaliser immédiatement le but, du moins d’une certaine manière, à moins de nous trouver nous-mêmes à travailler pour des abstractions et même des simulations de notre objectif. Et déjà les différentes tactiques et actions devraient aussi être plus que la simple somme de leurs parties et devraient donner naissance à la TAZ ou à l’Insurrection. Tout comme les organisations ordinaires ne peuvent fournir les structures dont nous avons besoin, les tactiques ordinaires ne peuvent satisfaire notre demande pour des « situations » immédiates et insurrectionnelles.

La Convivialité est à la fois une tactique et un objectif. Noble en elle-même, elle peut servir comme forme et contenu pour de tels modes d’organisations que le rassemblement, le potlach, le banquet. Mais la convivialité en elle-même manque de l’énergie transformante qui naît généralement d’un ensemble d’actions qui incluent ce que nous avons nommé la « destruction » et la « création ». L’organisation Immédiatiste idéale tend à un objectif plus global et s’empare de la convivialité comme nécessaire structure. En d’autres mots, se rassembler en groupe afin de planifier une TAZ potentielle pour un groupe plus large est déjà un acte Immédiatiste qui implique la convivialité – comme le royaume des cieux, qui est « ajouté à » toute lutte sincère en vue de percées plus exaltantes. Il semblerait que la tactique ou l’acte Immédiatiste quintescent cependant impliqueront simultanément la création et la destruction plutôt que la simple convivialité – de là les Réunions et les Tongs sont des formes d’organisation « plus élevées » que le rassemblement et le potlach.

Dans la Réunion, l’accent est mis sur la création, le projet artistique collaboratif, l’acte de générosité du groupe envers lui-même et envers la réalité plutôt que vers une « audience » de consommateurs. Bien sûr, la Réunion peut aussi envisager et entreprendre des actions destructrices ou « criminelles ». Mais en agissant ainsi, elle a peut être déjà fait le premier pas vers la constitution d’une société secrète ou d’un Tong Immédiatiste. C’est pourquoi je pense que le Tong est une forme plus complexe (ou « plus haute ») d’organisation Immédiatiste qui peut-être prédéterminée à un degré significatif. La TAZ et l’insurrection dépendent en fin de compte de divers facteurs pour que le processus « d’organisation » réussisse sans l’intervention de la « chance » (du hasard). Comme je l’ai dit, nous pouvons maximiser les possibilités d’une TAZ ou d’une insurrection mais nous ne pouvons pas vraiment les « organiser » ou faire en sorte qu’elles arrivent. Le Tong, cependant, peut être clairement défini et organisé et peut mener des actions complexes, matérielles et symboliques, créatrices et destructrices. Le Tong ne peut garantir une TAZ, l’Insurrection le peut plus ou moins, mais il peut sûrement satisfaire beaucoup ou la plupart des désirs immédiats de moindre complexité – et après tout, il pourrait réussir à précipiter le grand événement d’une TAZ, de la Commune, de la « restauration des Ming » en tant que Grand Festival de la Conscience, l’objectif corrélatif à tout désir.

En gardant cela à l’esprit, essayons d’imaginer – et alors de critiquer – les tactiques possibles d’un groupe Immédiatiste, et idéalement du Tong semi-permanent et bien organisé ou du groupe d’action virtuel clandestin ou « d’affinité » du web, capable de tenter un ensemble complet d’actions directes au sein d’une stratégie globale. Chacune de ces actions doit simultanément endommager ou détruire quelque espace/temps imaginal ou réel de « l’ennemi », même si cette action crée simultanément pour ses auteurs un forte chance de connaître des expériences extrêmes ou « aventureuses » : chaque tactique doit donc, en un sens, tendre à s’approprier et à « détourner » (en français dans le texte, ndt) l’espace de l’ennemi, et éventuellement l’occuper et le transformer. Chaque tactique ou action est déjà potentiellement la « Voie » intégrale de l’autonomie en elle-même, tout comme chaque évocation du Réel contient déjà l’entièreté du chemin spirituel (selon la « gnose » de l’Ismaélisme et du Soufisme hétérodoxe).

Mais attendez ! Tout d’abord : qui est « l’Ennemi » ? C’est très bien de marmonner à propos des conspirations contre « l’Establishment » ou des réseaux de contrôle psychique. Nous parlons d’actions directes en temps réel qui doivent être menées « contre » les noeuds de pouvoir agissant en temps réel qui sont identifiables. La discussion sur des ennemis abstraits comme « l’état » ne nous mènera nulle part. Je ne suis opprimé (ou aliéné) directement par aucune entité concrète appelée état, mais par des groupes spécifiques comme les enseignants, la police, les chefs de bureau, etc. Une « Révolution » peut avoir comme but de détruire un « état ». Mais l’Insurrection et tous ses groupes d’actions Immédiatistes devront découvrir une cible qui ne soit pas une idée, un morceau de papier, un « spectre » qui nous enchaîne avec nos mauvais rêves de pouvoir et d’impuissance. Nous jouerons à la guerre des images, oui. Mais les images naissent ou coulent au travers de connexions spécifiques. Le Spectacle a une structure et la structure à des joints, des croisements, des niveaux, des modèles. Le Spectacle a même une adresse – parfois – peut-être. Il n’est pas réel de la même manière que la TAZ est réelle. Mais il est suffisamment réel pour être pris d’assaut.

Du fait que les textes Immédiatistes ont été largement destinés à des « artistes » aussi bien qu’à des « non-autoritaires » et du fait que l’Immédiatisme n’est pas un mouvement politique mais un jeu, un jeu esthétique, il semble indubitable que nous devions rechercher l’ennemi dans les médias, et plus particulièrement ces médias que nous estimons directement oppresseurs. Par exemple, pour l’étudiant l’oppresseur est le médium aliénant de « l’éducation », et la connexion (le nexus, le point de pression sur lequel agir) doit donc être l’école. Pour un artiste la source directe d’aliénation semblerait être l’ensemble que nous appelons habituellement les Médias, qui ont usurpé le temps et l’espace de l’Art comme nous désirons le pratiquer – qui ont redéfini toutes communications créatrices comme échanges de marchandises ou d’images aliénantes – qui ont empoisonné le « discours ». Dans le passé le médium aliénant était l’église et l’insurrection s’exprimait dans le langage que tenait la spiritualité hérétique contre la religion organisée. Aujourd’hui, les Médias jouent le rôle de l’Eglise dans la circulation des images. Tout comme l’Eglise a, autrefois, fabriqué une fausse pénurie de sainteté ou de salvation, ainsi les Médias construisent une fausse pénurie de valeurs, ou de « sens ». Tout comme l’Eglise a autrefois essayé d’imposer son monopole sur l’esprit, les Médias veulent refaire du langage lui-même un pur esprit, divorcé d’avec le corps. Les Médias dénient la signification de la corporalité et de la vie de tous les jours, tout comme l’Eglise définissait autrefois le corps comme démoniaque et la vie de tous les jours comme un péché. Les Médias se définissent eux-mêmes, ou définissent leurs discours, comme un univers réel. Nous, simple consommateurs, vivons dans le monde-crâne de l’illusion, avec la T.V. comme orbites au travers desquelles nous regardons le monde de la vie, le « riche & célèbre », la réalité. Et ainsi la religion avait-elle défini le monde comme illusion et les cieux comme seule réalité – une réalité, mais très éloignée. Si l’insurrection dialogait un jour avec l’Eglise en tant qu’hérésie, ainsi doit-elle le faire avec les Médias. Autrefois, les paysans révoltés brûlaient les églises. Mais que sont en fin de compte les églises des Médias ?

Il est facile de ressentir de la nostalgie pour ces ennemis autrefois magnifiques telle l’Eglise Catholique Romaine. J’ai même essayé de me convaincre qu’à notre époque de charades édulcorées et anti-sexes, il peut toujours valoir la peine de conspirer contre elle. Infiltrez l’Eglise ; remplissez les étagères avec de magnifiques tracts pornos sur lesquels il est inscrit : « Ceci est la Face de Dieu » ; cachez des objets dadaïstes/vaudous sous les sièges et derrière l’autel ; envoyez des manifestes occultes aux évêques et au clergé ; laissez filtrer des menaces sataniques dans la presse à scandales ; laissez des preuves incriminants les Illuminati. Une cible encore plus satisfaisante pourrait être les Mormons qui sont entièrement bardés de technologies de communication hypermédiatiques et aussi très sensible à la « magie noire ». [Note : le Mormonisme a été fondé par des francs-maçons occultistes et les chefs mormons restent extrêmement susceptibles quant aux indices enfuis de leur passé qui reviendraient pour les hanter. L’Eglise Catholique Romaine pourrait traiter un « assaut magique » avec un haussement d’épaules d’une sophistication toute italienne – mais les mormons iraient chercher leurs fusils]. Le Télévangélisme offre un mélange assez tentant de média et de mauvaise religion. Mais quand il atteint à une véritable puissance, les églises se vident. Le dieu les a abandonnés. Le dieu a son propre talk-show, son propre sponsor, sont propre réseau. La véritable cible ce sont les Médias.

« L’assaut magique » cependant tient encore ses promesses comme tactique contre cette nouvelle église et cette « nouvelle inquisition » - précisément du fait que les médias, comme l’église, font leur travail au travers de la « magie » et de la manipulation des images. En fait, notre plus gros problème dans l’assaut contre les Médias sera d’inventer une tactique qui ne puisse être récupérée par Babylonne et retournée à son propre avantage. Un « live-news » haletant qui rapporterait que C.B.S. a été attaqué par des sorciers radicaux deviendrait simplement une partie du « spectacle de la dissidence », un drame sous-manichéen du discours de la simulation. La meilleure défense tactique contre cette cooptation sera la subtile complexité et la profondeur esthétique de notre symbolisme, qui doit contenir des dimensions fractales intraduisibles dans le langage bi-dimensionnel du tube cathodique. Même si « ils » essayent de s’approprier notre imagerie, elle portera un sous-texte « viral » inattendu qui infectera tout essai de récupération grâce à un malaise nauséeux d’incertitude – une « terreur poétique ».

Une idée simple serait de faire exploser une tour de retransmission de télévision et d’en revendiquer le crédit au nom de la Société de Poésie Américaine (qui est censée faire exploser les tours de télévision) ; mais ce simple acte purement destructeur manque des aspects créatifs d’une tactique véritablement Immédiatiste. Chaque acte de destruction devrait idéalement être aussi un acte de création. Supposez que nous puissions pirater une retransmission de T.V. dans un quartier et au même moment organiser un festival inespéré, libérant et transformant l’endroit en une TAZ durant une nuit – alors, notre action combinerait la destruction et la création en une « action directe » de beauté et de terreur véritablement Immédiatiste – bakouninesque, situationniste, véritablement dadaïste du moins. Les Médias pourraient essayer de détourner cela et de s’en approprier le pouvoir pour eux-mêmes, mais même alors ils ne pourraient pas effacer l’expérience du quartier et de ses occupants libérés – et il y a de grandes chances que les Médias resteraient silencieux car l’ensemble de l’événement semblerait trop complexe à digérer et à « chier » comme « news ».

Une telle action aussi compliquée serait au-dessus des capacités de tous sauf des plus riches et des plus développés des Tongs Immédiatistes. Mais le principe peut être appliqué à des niveaux moindres de complexité. Par exemple, imaginez qu’un groupe d’étudiants veuille protester contre l’effet « lénifiant » du domaine de l’éducation en perturbant ou en fermant l’école pour quelques temps. Facile à faire, comme beaucoup de saboteurs au sein des hautes écoles l’ont découvert. Entrepris en tant qu’action purement négative, cependant, ce geste ne peut être interprété par les autorités que comme un acte de « délinquance » et donc son énergie peut être récupérée au bénéfice du Contrôle. Les saboteurs devraient se faire un point d’honneur à donner simultanément une information valable, de la beauté et un sens à l’aventure. La plus petite des brochures anonymes sur l’anarchisme, l’école à la maison, la critique des médias ou toutes autres choses de ce style, peut être « laissée sur la scène » ou distribuée à d’autres étudiants, dans les facultés et même à la presse. Au mieux, une alternative à l’école elle-même devrait être suggérée au travers de la convivialité, du caractère festif, de la libération de l’apprentissage, de la création partagée.

(***) (note en bas de page pour une insertion possible)

Pour revenir au projet d’un « assaut magique » sur les Médias – il devrait également combiner en un seul mouvement (plus ou moins) à la fois les éléments créateurs et destructeurs du travail efficace de l’art Immédiatiste ou du travail du terrorisme poétique. De cette façon, il s’avérera (nous l’espérons) trop complexe pour le processus habituel de récupération. Par exemple, il serait futile de bombarder des cibles médiatiques avec des images d’horreur, de sang, de meurtres en série, de viols par des aliens, d’éclaboussures S&M etc., car les Médias eux-mêmes sont les pourvoyeurs en chef d’une telle imagerie. Le guignol à demi-sataniste convient parfaitement dans le spectre de l’horreur-comme-contrôle là où la plupart des émissions prennent place. On ne peut concurrencer les « news » quant aux images de dégoût, de répulsion, de peur atavique, ou d’horreur sanglante. Les Médias (si nous pouvons personnifier cela pour un instant) pourraient en premier lieu être surpris que personne ne se tracasse de refléter en retour cette merde aux Médias – mais cela n’aurait aucun effet occulte. [Note : le problème avec tous les arts « transgressifs » est qu’ils ne transgressent aucune des valeurs du Consensus – ils les exagèrent presque ou au mieux ils les exacerbent. L’obsession esthétique de la « Mort » donne une marchandise parfaite (image-sans-substance), du fait que la « livraison » de la signification de l’image serait en fait la fin du consommateur lui-même. Acheter la mort c’est acheter soit un échec soit le fascisme – un gouffre au bord duquel Bataille lui-même chancelait avec un manque mortel d’équilibre. Je dis ceci en dépit de mon admiration pour Bataille.]

Imaginons (une autre « expérimentation de la pensée ») qu’une cabale Immédiatiste d’une quelconque envergure et d’un certain sérieux ait d’une manière ou d’une autre obtenu les adresses (y compris les numéros de fax & téléphones, les e-mails et cie) de l’équipe des créatifs et des boss d’un show télé que nous pourrions ressentir comme le nadir de l’aliénation et du poison psychique (disons « NYPD Blue »). Dans notre « Envoûtement du Djinn Noir Malais » j’avais suggéré d’envoyer des paquets d’objets dadaïstes/vaudous à de telles personnes avec des avertissements selon lesquels leur lieu de travail était envoûté. A ce moment là, j’était peu disposé à recommander des envoûtements dirigés contre des individus. Aujourd’hui, cependant, je recommanderais pire encore. De plus, pour ces grands boss des médias il se pourrait que je sois en faveur d’une sorte d’imagerie faite de reptiles rampant pris dans la tradition islamique/hérétique, imagerie que j’avais soulignée dans l’opération « Black Djinn » - du fait surtout que les Médias montrent une telle peur de l’horreur « musulmane » et une telle bigoterie contre les musulmans – mais je donnerais maintenant le scénario complet et sa beaucoup plus complexe imagerie. Les boss et les créatifs de la télé doivent se voir envoyés des objets aussi exquis et dérangeants que les « boîtes » surréalistes contenant de magnifiques mais « illégales » images de plaisirs sexuels [Note : ce qui empêchera la diffusion de l’image à la télé ou comme photos dans les news. Et aussi, cela donnera, comme par coïncidence, une déclaration sur la relation entre la « beauté » et « l’obscénité » et entre « l’art » et la « censure », etc., etc.] et de symbolisme spirituel compliqué, d’images évocatrices d’autonomie et de plaisir dans l’auto-réalisation, tout cela très subtil, mystérieux, circonvolu ; ces objets doivent être faits avec une ferveur artistique réelle et avec la plus haute inspiration, mais chacun ne doit avoir de signification que pour une seule personne – la victime de « l’hex ».

Les destinataires peuvent tout aussi bien être perturbés par ces « présents » anonymes mais ils ne les détruiront probablement pas ou n’en discuteront pas. Quant bien même ils le feraient que cela ne nuirait pas à notre plan. Mais ces objets peuvent tout aussi bien avoir l’air trop beau, trop « cher » pour les détruire – ou encore trop « sale » que pour les montrer à quiconque. Le jour suivant, chacune des victimes recevra une lettre expliquant que la réception de ces objets rendait effective la livraison d’un sort. L’ « hex » leur causera la prise de conscience de leurs véritables désirs, symbolisés par les objets magiques. Ils commenceront aussi à réaliser qu’ils agissent en ennemis de la race humaine en manufacturant le désir et en agissant en tant qu’agents du contrôle de l’âme. Les objets d’art magiques couleront dans leurs rêves et leurs désirs, rendant leur job non seulement mortellement ennuyeux mais aussi moralement destructeur. Leurs désirs ainsi magiquement réveillés ruineront leur travail pour les Médias - à moins qu’ils ne se tournent vers la subversion et le sabotage. Au mieux, ils quitteront leur job. Ceci pourrait sauver leur équilibre mental par la perte de leur « carrières » insignifiantes. S’ils restent dans les Médias ils pourriront de leurs désirs insatisfaits, de leur honte et de leur culpabilité. Ou autrement, ils deviendront des rebelles et apprendront à se battre contre l’Oeil de Babylonne à partir de l’estomac même de l’idole. Pendant ce temps, leur « show » sera pris d’assaut par la magie noire d’un groupe de sorciers terroristes shi’ites, ou d’escadrons de choc vaudous libyens ou quelque chose de cette sorte. Bien sûr, il serait bien d’avoir un agent à l’intérieur afin de laisser des « indices » et d’espionner pour récolter des informations, mais quelques variations sur ce même schéma peuvent être entreprises sans une infiltration active de l’institution. L’assaut initial pourrait, peut-être, être suivi par un envoi de matériel de propagande anti-Médias et de tracts Immédiatistes. Si possible, bien sûr, quelques « malchances » pourraient être produites pour les victimes ou pour leurs institutions. Mais encore, cela n’est pas nécessaire et peut même entrer dans notre voie d’expérimentation pure de la destruction de l’esprit et de la manipulation de l’image. Laissons les salopards créer leur propre malchance à partir de leur tristesse intérieure d’être de tels trous-du-culdémoniaques, à partir de leur superstition atavique (sans laquelle ils ne seraient pas de tels magiciens médiatiques), à partir de leur peur de l’autre, à partir de leur sexualité réprimée. Vous pouvez être sûr qu’ils le feront - ou du moins qu’ils se rappelleront « l’envoûtement » à chaque fois que quelque chose de négatif leur arrivera.

Ce principe général peut être appliqué aux Médias autres que la télévision. Une société d’informatique par exemple pourrait être envoûtée au travers de ses ordinateurs par de talentueux pirates, et aussi on devrait éviter des scénarios de science-fiction comme celui du cyberespace hanté de William Gibson - trop baroque. Les sociétés de publicités fonctionnent à partir de la magie pure, les producteurs de films, les galeries d’art, les avocats et même les politiciens [Note : généralement, cela ne vaut pas la peine d’attaquer comme des « politiciens », car ils ne sont déjà que de simples « tigres de papier » - mais peut-être cela vaut-il la peine d’attaquer comme des tigres de papier], tous les oppresseurs qui travaillent au travers de l’image sont soumis au pouvoir de l’image.

Nous devons souligner que nous ne décrivons pas ici la Révolution, ou l’action politique révolutionnaire ou même l’Insurrection. Ceci est simplement une nouvelle manière d’agit-prop néo-hermétique, une proposition pour une nouvelle forme « d’art politique », un projet pour un Tong d’artistes rebelles, une expérience dans le jeu de l’Immédiatisme. D’autres se battront contre l’oppression sur leur propre terrain d’expérience, de travail, de discours, de vie. En tant qu’artistes, nous choisissons de nous battre au sein de « l’art », au sein du monde des Médias, contre l’aliénation qui nous oppresse le plus directement. Nous choisissons la bataille là où nous vivons, plutôt que de théoriser à propos de l’oppression qui est quelque part ailleurs. J’ai essayé de suggérer une stratégie et d’imaginer certaines tactiques qui dépasseraient ça. Aucune autre proclamation ne sera faite et aucun autre détail ne sera divulgué. Le reste est pour le Tong.

J’admets que mon propre goût tendrait vers une approche encore plus violente par rapport aux Médias que celle proposée ici dans ce texte. Les gens parlent de « prendre » les stations de TV, mais aucun n’y est parvenu. Il pourrait être plus sensé de tirer sur des postes de TV dans la vitrine d’un magasin d’électronique, aussi stupide que cela paraisse, que de rêver de s’emparer des studios. Mais je n’irai pas jusqu’à suggérer des attentats contre les néo-fascistes ou même de tuer le chien de Geraldo, et ce pour plusieurs raisons qui semblent toujours suffisantes à mes yeux. Primo, j’ai fait mienne la remarque de Nietzsche sur l’infériorité et la futilité de la vengeance en tant que doctrine politique. Une simple réaction n’est jamais une réponse suffisante - mais plus ou moins un chemin noble. De plus, cela ne fonctionnerait pas. Cela serait perçu comme une « attaque contre la liberté d’expression ». Le projet ici proposé comprend dans sa structure la possibilité de vraiment changer quelque chose - même si ce ne sont que quelques « esprits ». En d’autres mots, il a un aspect constructif entièrement lié à un aspect destructeur, et ainsi les deux ne peuvent être dissociés. Notre objet dadaïste/vaudou est à la fois une attaque et une séduction, et ces deux motifs seront expliqués plus avant dans les brochures ou les lettres qui l’accompagnent. Après tout, il y a une chance que nous puissions convertir quelqu’un. Bien sûr, nous pouvons tout aussi bien échouer. Tous nos efforts pourraient se terminer à la poubelle, oubliés par des esprits bien trop blindés pour ressentir ne fut-ce qu’un seul instant de malaise. Ceci est, après tout, simplement une expérience de la pensée, ou une expérience par la pensée. Si vous préférez vous pouvez appeler cela tout simplement une forme de critique esthétique dirigée contre les producteurs plutôt que contre les consommateurs d’un mauvais art. Le temps pour une violence réelle n’est pas encore arrivé, déjà du fait que la production de la violence reste le monopole des Institutions. Il est inutile de lever la tête et de sortir un fusil si l’on doit faire face à un rayon mortel tiré d’un satellite de la guerre des étoiles [Note : prions tous pour les activistes qui détruisirent en Californie un tel satellite avec des haches. Malheureusement ils furent attrapés et punis en ayant leurs salaires saisis pour payer le coût de la destruction. Pas bon du tout.]. Notre tâche est d’élargir les failles dans le pseudo-monolithe du discours social, en découvrant graduellement des morceaux du vide du spectacle, en étiquetant les formes subtiles du contrôle des esprits, en ouvrant des routes d’évasion, en s’éloignant de la suffocation de la cristallisation de l’image, en frappant sur des casseroles pour réveiller quelques citoyens de leurs transes médiatiques, en utilisant le média intime [Note : le média intime ou restreint ne touche pas, par définition, les masses inconscientes comme la TV, les films, les journaux. Il peut, lui, toujours « parler » aux individus. La radio, la vidéo par le câble, la petite presse, les CD et les K7, les softwares et autres technologies de communication peuvent être utilisées comme média intime. Ici l’idée de la Xexoxial Endarchy de « l’hypermédia » comme outil de l’insurrection trouve son véritable rôle. Il y a deux factions au sein de la théorie non-autoritaire actuellement : les primitivistes anti-technologies (Fifth Estate, « Anarchy : A Journal of Desire Armed », John Zerzan) et les futuristes pro-technologies (comprenant l’aile gauche anarcho-syndicaliste et l’aile droite anarcho-libertarienne). Je trouve tous les arguments très informatifs et inspirants. Dans la « TAZ » et ailleurs, j’ai essayé de réconcilier dans ma propre pensée chacune de ces positions. Je suggérerais aujourd’hui que les questions émises par ces arguments ne peuvent être répondues si ce n’est dans le processus en devenir d’une praxis active (ou politique) du désir. Imaginons que la « Révolution » a eu lieu. Nous sommes libres de décider de notre niveau de technologie, dans un spectre allant de l’Age pre-glaciaire primitif à la Science-Fiction post industrielle. Les forces néo-paléolithiques forceront-elles les futuristes à abandonner leur technologie ? Les cadets de l’espace forceront-ils les Zerzanites à acheter leurs pistolets laser ? Pieusement, nous ne l’espérons pas. La question sera plutôt : jusqu’à quel point désirons-nous la vie de la chasse-cueillette ? ou la vie CyberEvolutionniste ? Désirons-nous avoir suffisamment d’ordinateurs pour fabriquer des puces de silicone nous-mêmes ? Car après la Révolution, personne n’acceptera le travail aliénant. Sur ce fait, toutes les tendances non-autoritaires sont d’accord. Vous voulez une forêt de jeux ? Vous êtes alors responsable de sa fécondité et de sa sauvagerie. Vous voulez un vaisseau spatial ? Vous êtes responsable de sa fabrication, de l’extraction du minerai jusqu’à la peinture noire du nez de l’appareil. Par tous les moyens formez une commune ou un réseau. Par tous les moyens je demande que mon niveau de technologie n’interfère pas avec le vôtre. A part de ces quelques règles de base qui ont pour but d’éviter une guerre civile, la société non-autoritaire peut ne dépendre sur rien d’autre que le désir afin de modeler sa technologie. Comme Fourrier l’aurait dit, le niveau de complexité économique d’une société utopique sera en harmonie avec l’ensemble de toutes les Passions. Je ne peux prédire ce qui en sortira exactement. Tout ce que je peux imaginer c’est ce que je suis capable de désirer au point de le voir se réaliser. Personnellement j’envisage quelque chose comme le bolo’bolo : une infinie variété avec, à la base du contexte révolutionnaire, une liberté positive. Par définition, il ne pourrait pas y avoir de chose comme une NASA-bolo ou une Wall Street-bolo, car la NASA et Wall Street dépendent de l’aliénation pour exister. Je m’attendrais plutôt à ce que quelque chose comme un bas niveau de technologie ou une technologie « appropriée » (envisagée par les théoriciens des années 60 comme Illich) devienne la moyenne de l’Utopie, avec des extrêmes qui s’occuperont à restaurer la Sauvagerie d’un côté et la Lune de l’autre… Dans tous les cas, ce n’est que science-fiction. Dans mes écrits j’essaye d’envisager des tactiques qui peuvent être utilisées aujourd’hui par les tendances non-autoritaires. A la fois le « Tong » et l’assaut des Médias devraient attirer et les primitivistes et les technologistes. Et je parle donc à la fois de magie et d’ordinateurs car ils existent tous les deux dans le monde dans lequel j’habite, et ils seront utilisés tous les deux dans la lutte de la libération. Non seulement le futur mais aussi le présent offrent trop de possibilités, trop de ressources, un excès de surabondantes et redondantes potentialités, à limiter par l’idéologie. Une théorie de la technologie est trop contraignante. L’Immédiatisme offre par contre une esthétique de la technologie et préfère la praxis à la théorie.] d’orchestrer nos assauts sur les Grands Médias et ses Grands Mensonges, d’apprendre encore comment respirer ensemble, comment vivre dans nos corps, comment résister à l’image d’héroïne de « l’information ». En fait, ce que j’ai appelé « action directe » ici serait mieux appréhendé comme action indirecte, symbolique, virale, occulte et subtile plutôt que réelle, militante et ouverte. Si nous et nos alliés naturels jouissons même d’un petit succès, cependant, la superstructure peut éventuellement perdre autant de cohérence et d’assurance que sa puissance commence à chuter aussi. Le jour peut arriver (qui aurait pensé en 1989 que le Communisme se serait évaporé ?), le jour peut venir où, même trop tard, le capitalisme commencera à disparaître - après tout, il n’est qu’un rejeton du marxisme et du fascisme car il est encore plus stupide - un jour la construction du consensus pourrait commencer à s’écrouler, avec l’économie et l’environnement. Un jour le colosse pourrait trembler et chanceler, comme une vieille statue de Staline dans quelque square d’une ville de province. Et ce jour-là peut-être, une station de TV explosera et continuera à exploser encore et encore. Jusque là : un, dix, un millier d’assauts occultes sur les institutions.

(***) Une note sur l’Architecture de la TAZ. Assurément, la TAZ ne laisse aucune trace derrière elle. Un bâtiment n’est pas sa priorité majeure. Et en fait tout espace habité est une architecture - espace construit, espace fabriqué - et la TAZ par définition a une présence dans l’espace et le temps réel. Les campements de nomades devraient peut-être servir de premiers prototypes. Des tentes, caravanes, bateaux-maisons. Les vieilles tentes de voyage des cirques ou des carnavals pourraient offrir un modèle pour l’architecture de la TAZ. Dans un environnement urbain, le squat devient l’espace possible le plus commun pour nos besoins, mais en Amérique, à tous niveaux, la loi de la propriété fait que le squat reste toujours par définition un endroit pauvre. La TAZ veut des espaces riches, pas riches dans leurs agencements (comme les lieux de contrôle, les bâtiments officiels de la capitale, de la religion ou de l’état) mais riches d’expressions. Les espaces de jeux temporaires proposés par les situationnistes et urbanistes radicaux dans les années 60 avaient un certain potentiel mais se révélèrent en définive trop chers et trop organisés. L’architecture ur-TAZ est celle du Paris de la Commune. Les micro-quartiers sont fermés par des barricades. Les maisons des pauvres sont alors connectées par des passages au travers des murs mitoyens du rez-de-chaussée. Ces passages nous rappellent les arcades de Fourrier, par lesquelles les Phalanstériens pouvaient circuler dans leur espace commun, de l’espace public à l’espace privé et inversement. Ces blocs de la Commune devinrent une TAZ fortifiée avec des espaces militaires au rez-de-chaussée (et sur les toits) et des espaces privés aux étages supérieurs, avec les rues intérieures transformées en espaces de festivals.



Notes


Georges SOREL (1847 - 1922) : socialiste français et syndicaliste révolutionnaire qui développa une théorie originale sur le rôle positif & créatif du mythe de la violence dans le processus historique. Dans sa « Réflexions sur la Violence » (1908) Sorel proclamait que les mouvements de la classe ouvrière avaient besoin de mythes irrationnels afin de remplir leurs rôles dans l’histoire humaine. Cette idée influença nombre de socialistes italiens, dont Mussolini. Selon lui, la violence est sublime lorsqu’elle est utilisée par un mouvement qui a une mission historique.

TONG : société d’aide mutuelle pour des personnes ayant les mêmes intérêts illégaux ou dangereusement marginaux. Nombres de Tongs chinois évoluaient autour de la contrebande & de l’évasion fiscale, ou de la politique révolutionnaire et de buts religieux (se débarrasser des Mandchous et restaurer la dynastie Ming)

Abraham MASLOW (1908 - 1970) : psychologue américain et philosophe mieux connu pour son actualisation de la théorie de la psychologie. Maslow pensait que chaque personne possède une hiérarchie de besoins qui devaient être satisfaits, allant des besoins psychologiques de base comme se nourrir, l’amour, l’estime pour finir par la réalisation de soi même.

DYNASTIE MING : dynastie chinoise remplacée par la dynastie mandchoue.

SOUFISME : croyance mystique de l’Islam au sein de laquelle le musulman doit trouver la vérité de l’amour divin et la connaissance au travers d’expériences personnelles directes de dieu. Le soufisme consiste en une multitude de voies mystiques qui proclament la nature de l’homme et de dieu et cherchent à faciliter l’expérience de la présence de l’amour divin et de la sagesse au sein du monde.

ISMAELISME : doctrine de l’Islam formulée aux VIIIe et IXe siècle et qui met l’accent sur l’interprétation du Koran, interprétation exotérique mais aussi ésotérique. La sagesse secrète des ismaéliens n’était accessible qu’aux initiés au travers d’une succession de grades. L’enseignement était propagé par les da’is.

BOLO’BOLO : un « bolo » est un accord entre des individus, un espace de vie en commun.

MANICHEISME : religion dualiste fondée en Perse au IIIe siècle av JC par Mani qui était connu comme « l’Apôtre de la Lumière » et « Illuminateur » suprême.
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Message  ivo Jeu 9 Déc - 13:09

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textes d'hakim bey Empty Re: textes d'hakim bey

Message  demoniak01 Jeu 9 Déc - 13:11

Les anarcho-primitivistes ont fait marche arrière et se sont mis eux-mêmes dans une situation où ils ne pourront jamais être satisfaits sans la dissolution totale de la totalité. Le Luddisme comme tactique a beaucoup de qualités en sa faveur : au niveau local, fracasser des machines peut vraiment accomplir quelque chose. On a même arrêté un ou deux réacteurs nucléaires suite à un «sabotage» (légal, politique, ou réel) — et on pourra toujours au moins bénéficier d’un moment de satisfaction avec une chaussure en bois ou une clé à molette.

Au niveau «global» cependant — qui est le niveau «stratégique» — la totalité de la critique neo-primitive de la totalité elle-même commmence à prendre un air inquiétant de... totalitarisme. Cela s’observe plus particulièrement dans certaines tendances de l’écologie «profonde» et de l’«écofascisme», mais cela reste un problème inhérent même à l’intérieur des tendances les plus «aile-gauche» du primitivisme. L’élan puritain — purification, la réalisation de la pureté — communique une certaine rigidité et de l’agressivité envers toute action possible au nom d’une telle critique totale. Cela semble être le cas tout particulièrement quand la critique s’étend au-delà, disons de la civilisation urbaine (ou «Histoire») jusqu’au royaume «préhistorique» de l’art, de la musique, de la techné, et de la médiation symbolique elle-même.

A moins d’une quelconque et hypothétique évolution «naturelle» (ou dévolution) des espèces elles-mêmes, comment précisément va-t-on atteindre une telle pureté ? En effet, le primitivisme a proposé une catégorie absolue — le «primitif» lui-même — qui endosse la fonction d’un principe métaphysique. Bien sûr, le primitif dans son «essence vraie» reste au-delà de la définition (au-delà de la médiation symbolique), mais jusqu’à ce que la médiation elle-même soit abolie, le primitif doit — en relation avec toutes les autres totalités possibles — endosser les harnachements philsophiques d’un impératif, voire d’une «doctrine». Cela nous conduit à frôler dangereusement la tristement célèbre violence du sacré.

Dans ses profondeurs, cette violence est dirigée contre soi, puisque la réification de l’eschaton (dans le futur ou dans le passé) dévalue précisément le présent, «l’endroit» où nous vivons maintenant nos quotidiens. Mais invariablement cette violence doit également être dirigée vers l’extérieur. Très bien, direz-vous : laissons cette merde s’écrouler. Cependant la réussite d’une solution de la violence (c’est-à-dire l’abolition totale de la médiation symbolique) ne peut logiquement se définir que par une avant-garde présomptueuse des «purs». Le principe de la hiérarchie est donc réapparu — mais la hiérarchie contredit les prémisses initiales du primitivisme. Ceci, je crois, peut être appelé une contradiction tragique. Sur le plan de la vie individuelle et quotidienne, une telle contradiction ne peut manifester qu’inefficience et amertume.

A l’opposé, les anarcho-Extropiens ou futuriens sont eux aussi forcés de réifier l’eschaton — puisque de toute évidence le présent n’est pas l’utopie de la techné qu’ils imaginent — en situant la perfection dans un futur dans lequel la médiation symbolique a aboli la hiérarchie, plutôt que dans un passé dans lequel cette médiation n’est pas encore apparue (l’idéal Paléolithique des primitivistes). Evidemment pour les Extropiens, la médiation per se ne peut être définie comme «impureté» ou comme source invariable de la séparation, de l’aliénation et de la hiérarchie.

Il n’en demeure pas moins évident qu’une telle séparation se produit de fait, qu’elle équivaut à de la misère, que d’une manière ou d’une autre elle a partie liée avec la techné et la médiation, que toute technologie n’est pas «libératrice» quelle que soit la définition anarchiste du terme, et qu’elle est parfois purement et simplement oppressive. Par conséquent, les Extropiens ont un manque et un besoin d’une critique de la technologie et de la relation incroyablement complexe entre le social et le technique. Personne doué d’un peu d’intelligence ne peut plus accepter la notion de technologie comme «moralement neutre», avec pour seul critère d’appréciation le contrôle de ses moyens de production.

D’une certaine manière le social et le technologique sont liés par une relation complexe de co-création (ou «co-évolution) telle, que la techné façonne la connaissance de même que la connaissance façonne la techné. Si la vision extropienne du futur est viable, elle ne peut dépendre seulement de «l’évolution de la machine» pour parvenir à la réalisation. Mais tant que l’anarcho-futurisme n’est pas capable de développer une critique de la technologie, il se voit précisément relégué à ce rôle passif. Invariablement on développe une dialectique des «bonnes» et des «mauvaises» machines, ou plutôt des bons et mauvais modes de relations socio-technologiques. Cette vision du monde plutôt manichéenne échoue à éliminer ou simplement à couvrir les contradictions qui surgissent de telles prémisses, et qui tourne en rond autour de la «mauvaise adéquation» entre les valeurs humaines et la «logique» de la machine, entre l’autonomie de l’homme et l’autonomie de la machine.

Ainsi que le signalait M. de Landa, la machine autonome découle de la machine de guerre et la détermine (Taylor a développé le «taylorisme» en travaillant dans un arsenal). L’extropianisme a marqué le «cyberespace» comme zone de combat pour de «bonnes» relations homme/machine (par exemple, Inter Net), et ce combat a pris l’aspect d’une résistance contre la «militarisation» du cyberespace, contre sa hiérarchisation en «Autoroute de l’Information», soumise à une administration centralisée. Et si le cyberespace lui-même était par définition un mode de séparation et une manifestion de la «logique de la machine» ?

Et si la désincarnation inhérente à toute apparition à l’intérieur du cyberespace équivalait à une aliénation précisément de cette sphère de la vie quotidienne que l’extropianisme espérait transformer et purger de ses misères ? S’il en était ainsi, les conséquences pourraient bien ressembler aux situations dystopiques imaginées par P. K. Dick et W. Gibson : tourné vers l’intérieur, ce sens violent de la contradiction pourrait évoquer cette sorte de futilité et de dépression que dépeignent ces écrivains.-- dirigée vers l’extérieur, la violence évoquerait d’autres modèles de S.F. tels que ceux de R. Heinlein ou F. Herbert, chez lesquels «liberté» égale culture de l’élite technologique.

Maintenant, quand je parle du «retour du Paléolithique», je me trouve avoir des affinités avec la position primitiviste — et me suis vu par conséquent critiqué par les extropiens pour réaction luddiste, nostalgisme et technophobie. Toutefois, quand je parle, disons, de l’usage potentiel d’Internet pour organiser une TAZ, je commence à pencher du côté de mes anciens enthousiasmes pour la SF et ce que je dis sonne un peu extropien — par conséquent je me suis vu reproché par les primitivistes d’être «mou sur la technologie» (comme ces sortes de montres fondantes chez Dali) et de me laisser séduire par le techno-optimisme et l’illusion que la séparation peut dépasser la séparation.

A un certain degré, l’une et l’autre de ces critiques sont justes, dans la mesure où mon inconséquence résulte d’une tentative de penser la techné et la société sans recourir aucunement à un système inviolable de catégories absolues. D’un autre côté, la plupart de mes pensées sur la technologie furent façonnées par l’ad-hoc-isme radical et la théorie du bricolage des années 60-70, le mouvement «qui appelait à s’emparer de la techno» et qui acceptait de facto le lien entre la techné et la société humaine mais cherchait à s’approprier des manières de construire des situations qui iraient à des tendances coût minimum/plaisir maximum.

Dans la fiction, B. Sterling tenta un modèle dans sa nouvelle Jours verts à Bruneï, en imaginant brillamment des solutions non autoritaires et de faible technologie pour résoudre la surpopulation et la pauvreté dans le «tiers-monde». Dans la «vraie» vie, le New Alchemy Institute propose un modèle plus petit mais plus délicieux, en transformant des trous de peau pollués en printemps arcadiens avec de basses technologies vertes dans des installations bon marché mais esthétiquement magnifiques. D’un autre côté, je préfère le fardeau de l’inconséquence (même «insensée») au fardeau de l’Absolu.

Seule une théorie impure fera justice à l’impunité du présent — qui, comme chacun sait, est seulement une impossibilité psychologique entre un passé perdu et un futur qui n’existe pas. La «vie quotidienne» n’est pas une catégorie ; même «le corps» n’est pas une catégorie. La vie — comme le corps — est «pleine de trous», perméable, grotesque ; les constructions ad hoc se compromettent déjà avec un empirisme impur, elles sont condamnées à la «dérive», au «relativisme» et au pur désordre de l’organique. Et pourtant, c’est «précisement» ici, dans cette zone imprécise de contradiction et d’«existentialisme vulgaire», que l’acte créatif de l’autonomie et de l’auto-réalisation doit s’accomplir.

On peut diriger la critique vers le passé ou le futur, mais la praxis ne peut se produire que dans l’impur et ontologiquement instable ici-et-maintenant. Je ne veux pas abandonner la critique du passé-et-futur ; à vrai dire, j’en ai besoin, sous forme de poésie utopique, afin de situer la praxis dans le contexte d’une tradition (de fête et de résistance) et d’une anti-tradition (de l’«espoir» utopique). Mais je ne peux permettre à cette critique de se rigidifier en eschatologie. J’exige de la théorie qu’elle demeure souple quant aux situations, et capable de définir des valeurs selon les termes de «la lutte pour les libertés empiriques» (ainsi que le formulait un Zapatiste contemporain). La «Révolution» n’est pas moins coupable que la Religion de nous allécher avec des «promesses en l’air» (selon les mots de Joe Hill) — mais le vrai problème de la théorie, comme disait Alice, c’est «la confiture aujourd’hui».

Le concept de la TAZ ne fut jamais pensé comme un abandon du passé ou du futur — la TAZ a existé, et elle existera — mais plutôt comme un moyen de maximiser l’autonomie et le plaisir pour le plus grand nombre d’individus et de groupes, et le plus tôt possible — voire ici et maintenant. La TAZ existe — l’utilité de la théorie fut simplement de la remarquer, de l’aider à se définir et à devenir «politiquement consciente». Le présent et le futur nous aident à connaître nos «vrais» désirs (révolutionnaires) — mais seul le présent peut les réaliser — seul le corps vivant, malgré toute son imperfection grotesque.

Supposons que nous nous demandions — en tant qu’anarchistes — ce que nous devrions faire concernant le problème de la technologie «après la révolution». Cet exercice de poésie utopique pourrait nous aider à clarifier la question du désir, et de notre praxis dans le «présent». Les primitivistes pourraient objecter qu’il ne peut y avoir de révolution sans l’abolition de la médiation symbolique, ou tout au moins de l’impératif technologique ; les extropiens pourraient dire que la révolution ne peut se produire sans transcendance technologique. Mais l’une et l’autre partie doivent nécessairement admettre une phase de transition quandde facto la «Révolution» aura pris le pouvoir, mais que le plein développement de la société révolutionnaire ne se sera pas encore produit.

Imaginons que la seule ébauche de principe sur lequel «tout le monde» s’entende soit la liberté de l’individu par rapport à la contrainte du groupe, et la liberté du groupe (auto-organisé) par rapport à la contrainte de tous les autres groupes. Le seul «prix» de cette liberté est qu’elle ne porte atteinte à aucun des autres intérêts libres et autonomes. Cela semblerait être une définition minimaliste mais acceptable de l’anarchisme de base. Sur ce point, les primitivistes pourraient soutenir que la dialectique de la liberté progresse irrévocablement vers la ré-apparition du Paléolithique, encore qu’à un niveau «plus élevé» et plus conscient que la première fois, puisque cette ré-apparition aura été annoncé par la révolution, par la conscience.

De même, sur ce point, les extropiens pourraient faire valoir qu’un plus grand développement de la liberté ne peut être imaginé que comme une évolution dirigée vers soi à travers la co-création de l’humanité et de sa technologie. Bien, c’est épatant. Mais maintenant, quoi ? Faut-il que ces deux tendances anarchistes deviennent des armées et en décousent, jusqu’au dernier récalcitrant, athlète de l’ordinateur ou néo-sauvege ? Vont-ils les uns les autres s’imposer leurs visions du futur ? Une telle action serait-elle conséquente avec la prémisse anarchiste de base : non-contrainte réciproque ? Ou bien cela révèlerait-il que chacune de ces deux tendances a pour seul défaut ses contradictions destructrices et tragiques ? J’ai déjà dit que dans une telle situation, le problème de la technologie ne peut se résoudre que par le principe du désir révolutionnaire. Puisque nous avons «exclu» la contrainte chez tous ceux qui acceptent la prémisse de la non-contrainte réciproque, tous les modèles d’utopie en lice subiront l’épreuve du désir.

Jusqu’à quel point est-ce que je désire un ordinateur ? Je ne peux imposer à des femmes Taïwanaises ou Mexicaines de faire des microplaquettes en silicone pour des salaires d’esclaves. Je ne peux polluer l’air d’autres personnes avec le scandale de quelque usine de plastique qui fabriquera des consoles. Je suis libre d’avoir un ordinateur, mais je dois «payer le prix» de la non-contrainte réciproque.

Ou encore : jusqu’à quel point est-ce que je désire la nature sauvage ? Je ne peux obliger des personnes à sortir de «ma» forêt maintenant parce que c’est également «leur» forêt. Je peux faire ce que je veux avec «ma part» de la forêt, mais seulement à un prix sur lequel nous nous serons entendus. Si mes voisins souhaitent des ordinateurs artisanaux raffinés ou planter du blé, tant qu’ils respectent ma «Nature», je dois respecter leur «Culture». Bien entendu, nous pouvons nous disputer sur les «seuils d’émission acceptables» ou la préservation de la forêt — sur le fait que telle ou telle «solution» technologique ou non-technologique donnée est pertinente dans une situation donnée — mais nous accepterons le prix de la non-contrainte réciproque sous sa forme de bordel et de compromis, d’impureté et d’imperfection — parce que «les libertés empiriques» ont pour nous plus de valeur que les impératifs catégoriques.

Bien sûr, chacun est libre de jouer à ce jeu de la poésie utopique avec des «règles» différentes et des résultats différents. Après tout le futur n’existe pas. Cependant j’aimerais pousser un peu plus loin les conséquences expérimentales de mes pensées. Je soupçonne cette «utopie» de s’avérer décevante à la fois pour les primitivistes et les extropiens. Je soupçonne une utopie réalisable de coller de plus près au modèle «bordélique» qu’à aucun des «purs» modèles des théoriciens pro ou anti-tech.

Comme bolo’bolo, j’imagine une multiplicité complexe de modèles sociaux co-existant sous l’égide du «prix» social de la non-contrainte réciproque. En effet, les primitivistes obtiendront moins de nature sauvage qu’ils n’en réclament, et les extropiens moins de tech. Néanmoins, à moins d’être un extrêmiste fanatique de l’un ou l’autre bord, chacun se réconciliera avec l’utopie bordélique du désir — ou du moins c’est ce que je prédis — parce qu’elle sera organisée autour du plaisir et du surplus plutôt qu’autour du refus et de la rareté qui s’expriment dans la totalité. Le désir pour la nature sauvage sera satisfait à un niveau dont on n’a plus rêvé depuis les débuts du Néolithique ; et le désir de créativité voire de co-création sera satisfait à un niveau que même la plus furieuse des sciences fictions n’a rêvé. Dans les deux cas, les moyens pour cette jouissance ne peuvent en appeler qu’à une techné adéquate : verte, de basse énergie et de haute information.

Je ne crois pas à l’abolition de la médiation symbolique, et je ne crois pas que la séparation puisse dépasser la séparation. Mais je fais l’hypothèse qu’une expérience de la création et de la convivialité bien plus immédiate et satisfante est possible, grâce à une économie et une technologie à l’échelle humaine (animal/animé) — et cela, quelque désordonné que ce soit, je l’appellerai utopie.

Si j’exprime ici des désaccords à la fois avec les primitivistes et les extropiens, je ne les rejette pas comme alliés. La seule utilité de notre jeu «après la Révolution» est d’éclairer notre situation présente, et nos possibilités d’option pour une action concrète ici et maintenant (plus ou moins). Il me semble que les P.s comme les E.s sont tout à fait capables de saisir la théorie du «désordre» et du modèle «impur» de la TAZ.

Une nuit, une semaine, un mois d’autonomie relative, de satisfaction relative, de réalisation relative, vaudrait bien plus pour la plupart des anarchistes qu’une vie entière d’amertume absolue, de ressentiment et de nostalgie pour le passé ou le futur. Un cyberpunk, fut-il le plus enthousiaste, peut continuer d’étreindre le «corps en fête», et on sait que les plus sauvages des primitifs ont succombé à des impuretés civilisées telles que la bière ou l’art. Je crains qu’une poignée de jusqu’au boutistes des deux camps ne continuent de tourner notre jouissance en ridicule — de la TAZ impure ou du soulèvement impur — parce qu’elle est loin de la révolution parfaite. Mais la réalisation ne peut surgir que de l’expérience directe, de la participation. Eux-mêmes l’admettent. Et pourtant l’action est toujours impure, toujours incomplète. Sont-ils trop tatillons ? Est-ce que rien ne peut venir combler le vide de l’un et de l’autre : qu’il s’agisse de la nature sauvage ou du cyberespace ? Sont-ils des dandys de l’Absolu ?

La TAZ est un projet de syncrétisme sans discrimination, pas un projet d’exclusion. En n’étant pas d’accord avec les deux parties, nous tentons de les réconcilier — au moins pour un temps — en une sorte de «front uni» ou tendance ad hoc, déterminé à expérimenter maintenant divers modes de contestation aussi bien que de jouissance, de lutte saussi bien que de fêtes. Le palimpseste de toutes les théories et désirs utopiques — avec toutes ses redondances et ses répétitions — donne forme à la matrice d’un mouvement anti-autoritaire capable de «mettre dans le même sac» et de réunir tout ce bordel d’anarchistes, libertaires, syndicalistes, communistes de conseils, post-situationnistes, primitivistes, extropiens et autres tendances «libres». Cette «union»-sans-l’uniformité ne serait pas conduite (ou déchirée) par l’idéologie mais par une sorte de «bruit» ou de chaos insurrectionnaire de TAZs, de soulèvements, de refus et d’épiphanies. Dans la totalité «finale» du capital global, elle lachera des centaines de fleurs en pleine éclosion, un millier, un million de memes de résistance, de différence, de conscience non ordinaire — la volonté de puissance comme «étrangeté».

Et tandis que le capital se retirera toujours plus profondément dans le cyberespace, ou dans la désincarnation, laissant derrière lui les coquilles vides du contrôle spectaculaire, la complexité de nos tendances anti-autoritaires et autonomistes commencera à voir la ré-apparition du Social. Mais pour le moment présent, la TAZ (au sens le plus large possible) semble être la seule manifestation de la possibilité d’une convivialité radicale. Toute tendance non-autoritaire devrait soutenir la TAZ parce qu’il n’y a que là (à part dans l’imagination) qu’on peut faire l’expérience d’un goût authentique de vie sans être opprimé.

La question vitale maintenant concerne la «technologie» de la TAZ, c’est-à-dire les moyens pour la potentialiser et la manifester le plus clairement et le plus fortement. Comparée à cette question, les problèmes de la technologie (ou du zéro technologie) prennent l’air d’un débat idéologique — une alter-mondialité fantomatique et grincheuse. Il y a du sens chez ceux qui me critiquent — mais il est tendu quelque part il y a environ 10 000 ans, ou «cinq minutes après dans le futur» et manque donc le but.

Je dois admettre que mes propres penchants n’inclinent ni vers le Monde Sauvage ni vers le vaisseau spatial Terre comme catégories exclusives. Si aujourd’hui je passe bien plus de temps à défendre le sauvage que la «civilisation», c’est parce qu’il est bien plus menacé. J’aspire à la ré-apparition de la Nature sans Culture — mais pas à l’éradication de toute médiation cymbolique. Le mot «choix» a tellement perdu de sa valeur ces derniers temps. Disons que je préfère un monde d’indétermination, de riche ambigüité, d’impuretés complexes. Apparemment, ce n’est pas le cas pour mes critiques. Je trouve beaucoup de choses à admirer et à désirer dans leur modèle, mais à aucun moment je ne peux croire en aucun des deux comme totalités. Leur futurisme ou leur eschatologie m’ennuie, à moins que je ne puisse l’amalgamer dans le ragoût de la TAZ — ou l’utiliser comme formule magique pour amener la TAZ à l’existence active, pour attiser la TAZ et l’amener à l’action.

Les TAZs sont assez «larges d’esprit» pour offrir l’hospitalité à plus de deux, ou même six idées impossibles «avant le petit déjeûner». La TAZ est toujours «plus grande» que les simples idées qui l’ont inspirées. Même dans ce qu’elle a de plus petit et de plus intime, la TAZ englobe toutes les «totalités» et les emballe dans le même espace conceptuel kaléïdoscopique, le «monde imaginaire» qui est toujours un si proche parent de la TAZ et qui brûle du même feu. Mon cerveau peut bien être incapable de réconcilier le sauvage et le cyberespace, mais la TAZ en est capable — de fait, elle l’a déjà fait. Pourtant la TAZ n’est pas une totalité mais simplement, une passoire pleine de trous — qui, dans le conte, peut porter du lait ou même devenir un bateau. Pour la TAZ, la technologie est pareille à cet éventail de papier dans l’histoire Zen, qui est d’abord un «éventail», puis un instrument du genre «pelle à gâteau», et enfin une brise silencieuse.
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Message  demoniak01 Jeu 9 Déc - 13:12

Toute culture (ou en tout cas toute culture urbaine/paysanne importante) entretient deux mythes qui en apparence se contredisent l’un l’autre : le mythe de la Dégénérescence & le mythe du Progrès. René Guénon & les néo-traditionnalistes aiment à prétendre qu’aucune culture ancienne ne crut jamais au Progrès, mais bien sûr elles y croyaient toutes.

L’une des versions du mythe de la Dégénérescence dans la culture indo-européenne tourne autour de l’image des métaux : or, argent, bronze, fer. Mais qu’en est-il du mythe dans lequel Chronos & les Titans sont détruits afin de faire place à Zeus & aux Olympiens ? — une histoire parallèle à celle de Tiamat & Marduk, ou de Léviathan & Jéhovah. Dans ces mythes du «Progrès», un panthéon primitif «féminin», chtonien, chaotique, attaché à la terre (ou à l’eau), est remplacé (détrôné) par un panthéon tardif «mâle», spiritualisé, ordonné, céleste. N’est-ce pas là un pas en avant dans le temps ? Et le bouddhisme, la chrétienté & l’islam n’ont-ils pas tous clamé être meilleurs que le paganisme ?

En vérité, bien sûr, ces deux mythes — celui de la Dégénérescence comme celui du Progrès — servent l’intention du Contrôle & de la Société du Contrôle. Tous deux admettent qu’avant l’état actuel des affaires, quelque chose d’autre existait, une forme différente du social. Dans les deux cas, il semble que nous ayons une vision du Paléolithique, cette grande et longue et immuable préhistoire de l’humanité, vision issue de notre «mémoire d'espèce». Dans un cas, cette ère est vue comme un vaste désordre, sale et brutal : le 18ème siècle ne découvrit pas ce point de vue mais le trouva déjà exprimé dans la culture classique & chrétienne. Dans l’autre cas, les temps primordiaux sont vus comme précieux, innocents, plus heureux & plus faciles que le présent, plus numineux {1} que le présent — mais irrévocablement disparus, impossibles à retrouver si ce n’est dans la mort.

Ainsi pour tous les dévots loyaux et enthousiastes de l’Ordre, l’Ordre se présente comme incomparablement plus parfait qu’aucun Chaos originel ; tandis que pour les ennemis potentiels et rebelles de l’Ordre, l’Ordre se présente comme cruel & oppressif («de fer») mais totalement & fatalement inévitable — en fait, tout-puissant.

Ni dans un cas ni dans l’autre, les poètes du mythe de l’Ordre n’admettent que le «Chaos» ou l’«Âge d’Or» pourraient encore exister dans le présent, ou qu’ils existent dans le présent, ici & maintenant en fait — mais qu’ils sont réprimés par la totalité illusoire de la Société de l’Ordre. Pourtant nous croyons que le «paléolithique» (qui est un mythe, comme le «Chaos» ou «l’Âge d’Or», ni plus ni moins) existe bel et bien, même maintenant, comme une sorte d’inconscient dans le social. Nous croyons également que l’Âge de l’Industrie touche à sa fin, entraînant avec lui la décadence des dernières religions de l’Ordre, qu’un jour, ce «matériau réprimé» sera de nouveau découvert. Que pouvions-nous bien vouloir dire d’autre quand nous parlions de «nomadisme psychique» ou de la «disparition du social» ?

La fin du Moderne ne signifie pas un retour AU paléolithique mais un retour DU paléolithique.

L’anthropologie post-classique (ou post-académique) nous a préparé à ce retour du réprimé, car ce n’est que très récemment que nous avons pu comprendre & sympathiser avec les sociétés de chasseurs-cueilleurs. Les grottes de Lascaux furent redécouvertes précisément quand il fallait qu’elles fussent redécouvertes, car aucun Romain de l’Antiquité, aucun Chrétien du Moyen-Âge, aucun rationaliste du 18ème siècle n’aurait jamais pu les trouver belles ou importantes. Dans ces grottes (symboles d’une archéologie de la conscience), nous avons trouvé les artistes qui les ont créées. Nous les avons découverts comme des ancêtres, & aussi comme nous-mêmes, bien vivants & présents.

Un jour, Paul Goodman a défini l’anarchisme comme un «conservatisme néolithique». C’est spirituel, mais ce n’est plus exact. L’anarchisme (ou l’anarchisme ontologique tout au moins) ne sympathise plus avec les paysans agriculteurs mais avec les structures sociales non autoritaires & l’économie des valeurs antérieures au surplus des chasseurs-cueilleurs. De plus nous ne pouvons décrire cette sympathie par le mot «conservatrice». «Radicale» serait un meilleur terme puisque nous avons trouvé nos racines dans le vieil Âge de Pierre, sorte d’éternel présent. Nous ne désirons pas retourner à la technologie matérielle du passé (nous n’avons aucun désir de nous bombarder dans l’Âge de Pierre) ; nous désirons plutôt le retour d’une technologie psychique dont nous avons oublié que nous la possédions.

Le simple fait que nous trouvions Lascaux magnifique signifie que Babylone a commencé sa chute. L’anarchisme est probablement plus un symptôme qu’une cause de cette évaporation. Malgré nos imaginations utopiques, nous ne savons pas à quoi nous attendre. Mais nous, au moins, sommes préparés à ce plongeon dans l’inconnu. Pour nous, c’est une aventure, ce n’est pas la Fin du Monde. Nous avons souhaité la bienvenue au retour du Chaos, car aux côtés du danger arrive — enfin — une chance de créer.
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Message  demoniak01 Jeu 9 Déc - 13:13

Dans notre sommeil nous ne pouvons rêver que de deux formes de gouvernement - l'anarchie et la monarchie. La primordiale conscience-racine ne comprend rien à la politique pas plus qu'elle ne joue fair-play. Un rêve démocratique ? un rêve socialiste ? Impossible.

Que mes REM m'apportent de fantastiques visions quasi prophétiques ou de simples satisfactions de viennoiseries, seuls les rois et les "sauvages" peuplent mes nuits. Monades et nomades...

Les jours sans vie, lorsque rien ne brille de sa propre lumière, entrent furtivement et s'insinuent et suggèrent que nous fassions des compromis avec la réalité triste et terne. Mais dans les rêves nous ne sommes jamais gouvernés que par l'amour ou la sorcellerie, qui sont les armes des chaoticiens et des sultans.

Au sein d'un peuple qui ne peut créer ou jouer mais ne peut que travailler, les artistes ne connaissent d'autres choix que l'anarchie et la monarchie. Comme le rêveur, ils doivent posséder et possèdent effectivement leurs propres perceptions et à cause de cela ils doivent sacrifier le vulgaire social à une "Muse tyrannique". L'Art meurt lorsqu'il est traité avec déférence. Il doit souffrir la sauvagerie du rustre ou avoir la bouche emplie d'or par quelque prince. Les bureaucrates et les vendeurs l'empoisonnent, les professeurs le mastiquent et les philosophes le recrachent. L'Art est une sorte de barbarisme byzantin qui ne sied qu'aux nobles et aux barbares. Si vous aviez connu la douceur de vivre d'un poète sous le règne vénal, corrompu, décadent, inefficace et ridicule d'un Pacha ou d'un Emir, de quelque shah Qajar, de quelque roi Farouq, de quelque reine de Perses, vous sauriez que c'est ce que tout anarchiste doit vouloir et désirer. Comme ils aimaient les poèmes et les peintures ces fous morts et débauchés, combien ils absorbaient des roses et des tulipes !

Haïssez leur cruauté et leurs caprices, oui, mais au moins admettez qu'ils étaient humains. Les bureaucrates, cependant, qui tapissent les murs de l'esprit avec de la merde sans odeur - eux si gentils et si gemutlich - eux qui polluent l'air avec du fiel - ils ne méritent même pas la haine. Ils existent à peine en dehors de l'Idée exsangue qu'ils servent.

Et puis, le rêveur, l'artiste, l'anarchiste, ne partagent-ils pas quelque nuance de cruel caprice avec les plus outrageux des nababs ? La vie peut-elle émerger sans quelque folie, quelque excès, quelque combat héraclitien ? Nous ne régnons pas, mais nous ne pouvons ni ne serons dirigés.

En Russie, les anarchistes narodniks éditaient parfois une ukase ou un manifeste au nom du Tsar dans lequel l'autocrate se plaignait que les seigneurs avares et les officiels sans cœur l'avaient enfermés dans son palais et l'avaient coupés de son peuple bien aimé. Il y proclamait la fin du servage et appelait les paysans et les travailleurs à se soulever en Son Nom contre le gouvernement.

A plusieurs reprises ce complot réussit à fomenter des révoltes. Pourquoi ? Parce que les simples actes du chef absolu agissent métaphoriquement comme un miroir de l'unique et extrême absolu du Moi. Chaque paysan regardait en cette légende et y voyaient leur propre liberté - une illusion, mais une illusion qui a emprunté sa magie à la logique du rêve.

C'est un mythe semblable qui doit avoir inspiré les Fulmineurs et les Antinomiens et les Hommes de la Cinquième Monarchie qui s'accola aux jacobites avec ses cabales érudites et ses conspirations sanglantes. Les mystiques radicaux furent trahis d'abord par Cromwell et ensuite par la Restauration - pourquoi, dès lors, ne pas rejoindre les chevaliers irrévérencieux et les comtes pompeux, avec les rosicruciens et les maçons du Rite Ecossais, afin de mettre un Messie occulte sur le trône d'Albion ?

Parmi un peuple qui ne peut concevoir une société humaine sans un monarque, les désirs des radicaux peuvent être exprimés en des termes monarchiques. Parmi un peuple qui ne peut concevoir l'existence sans la religion, les désirs radicaux peuvent emprunter le langage de l'hérésie.

Le Taoïsme a rejeté l'ensemble de la bureaucratie du Confucianisme mais conserva l'image de l'Empereur Sage qui reste silencieux sur son trône en ne faisant strictement rien.

Dans l'Islam, les Ismaéliens reprirent l'idée de l'Imam issu de la maison du Prophète et la métamorphosèrent en l'Imam de Tous les Etres, le moi parfait qui est au-delà de la Loi et des règles, qui est en racheté par l'Unique. Et cette doctrine les mena à la révolte contre l'Islam, à la terreur et à l'assassinat au nom d'une auto-libération et d'une réalisation totale purement ésotériques.

L'anarchisme classique du 19e siècle se définissait lui-même comme une lutte contre la royauté et l'église, et par conséquent, sur le plan de l'éveil, il se considérait comme égalitaire et athéiste. Cette rhétorique cependant obscurcit ce qui se passe réellement : le "roi" devient l'"anarchiste", le "prêtre" un "hérétique". Dans cet étrange duo de mutation, le politicien, le démocrate, le socialiste, l'idéologue rationaliste ne peuvent trouver aucun place ; ils sont sourds à la musique et manquent de tout sens du rythme. Le Terroriste et le Monarque sont des archétypes, les autres ne sont que de simples fonctionnaires.

Une fois l'anarchiste et le roi se tranchèrent la gorge l'un à l'autre et dansèrent une danse de mort - une magnifique bataille ! Aujourd'hui, cependant, tout deux sont relégués dans les poubelles de l'histoire - ce sont des has-beens, des curiosités d'un passé plus cultivés. Ils tournent l'un sur l'autre si vite qu'ils semblent fusionner… peuvent-ils être devenus d'une quelconque manière une seule et même chose, des jumeaux siamois, un Janus, un monstre de foire ?

L'Anarchisme Ontologique proclame platement et presque sans intelligence : oui, les deux sont à présent un. Comme une seule entité l'anarchiste/roi est à présent renaît ; chacun d'entre nous est le maître de sa propre chair, de ses propres créations.

Nos actions sont justifiées par ordonnance et nos relations sont formées par des traités avec d'autres autarques. Nous édictons la loi pour nos propres domaines - et les chaînes de la loi ont été brisées. Aujourd'hui peut-être survivons-nous comme de simples Prétendants - mais même en ce cas nous pouvons saisir pour quelques instants quelques mètres carrés de la réalité sur laquelle imposer notre volonté absolue, notre royaume . L'Etat, c'est moi !

Si nous sommes liés par une quelconque morale ou une quelconque éthique, elles doivent être issues de nous-mêmes, telles que nous les avons imaginées, fabuleusement plus exaltées et plus libératrices que l'"acide morale" des puritains et des humanistes. "Nous sommes des Dieux" - "Vous êtes Cela".

Les mots monarchisme et mysticisme sont utilisés ici en partie pour épater ces anarchistes égalito-athéistes qui réagissent avec une pieuse horreur à toute mention d'une quelconque pompe ou superstition. Pas de révolution au champagne pour eux !

Notre marque de fabrique anti-autoritaire, cependant, se développe sur un paradoxe baroque, elle favorise des états de conscience, des émotions et une esthétique primant sur tous les dogmes et les idéologies pétrifiées, elle embrasse les multitudes et se délecte des contradictions. L'anarchisme ontologique est un lutin pour de grands esprits. La traduction du titre (et du terme clé) du magnum opus de Max Stirner, L'Ego et sa Propriété a mené à une subtile mésinterprétation de l'"individualisme". Le mot Ego est chargé de frayeurs et alourdi par l'héritage freudien et protestant. Une lecture attentive de Stirner suggère que l'Unique et sa Propriété reflète plus l'intention de l'auteur, puisqu'il n'a jamais défini l'ego comme en opposition à la libido, ou en opposition à l'âme ou à la foi.

Stirner bien qu'il ne parle pas de métaphysique donne cependant un caractère d'absolu à son Unique. De quelle manière cet Einzige diffère-t-il du Moi de l'Advaita Vedanta ? Tat tvam asi : Tu (Moi individuel) es Cela (Moi Absolu).

Beaucoup sont ceux qui croient que le mysticisme "dissout l'ego". C'est stupide. Seule la mort réalise cela (ou du moins selon notre assomption sadducéeenne). Le mysticisme ne détruit pas plus le moi "animal" - ce qui reviendrait au suicide. Ce que le mysticisme essaye véritablement à faire est de surmonter la fausse conscience, l'illusion, la Réalité Consensuelle et tous les échecs qui accompagnent ces maladies. Le véritable mysticisme crée un "moi en paix", un Moi avec le pouvoir. La plus haute tâche de la métaphysique (accomplie par Ibn Arabi, Boehme, Ramana Maharshi) est en un sens l'autodestruction, afin d'identifier le métaphysique et le physique, le transcendant et l'immanent, tout en un. Certains monistes radicaux ont poussé cette doctrine bien au-delà d'un simple panthéisme ou d'un mysticisme religieux. Une appréhension de l'unité immanente de l'être inspire certaines hérésies antinomiennes (comme les Fulmigateurs ou les Assassins) que nous considérons comme nos ancêtres.

Stirner lui-même semble sourd aux résonances spirituelles possibles de l'Individualisme - et en cela il appartient au 19e siècle, né longtemps après la déliquescence de la Chrétienté mais bien trop avant la découverte de l'Orient et de la tradition des illuminés occultes de l'alchimie occidentale, de l'hérésie révolutionnaire et de l'activisme occultiste. Stirner a, avec raison, méprisé ce qu'il connaissait sous le terme de "mysticisme", une simple sentimentalité piétiste basée sur l'abnégation et la haine du monde. Nietzsche jeta l'opprobre sur "Dieu" quelques années plus tard. Depuis lors, qui a osé suggérer que l'Individualisme et le mysticisme pourraient être réconciliés et synthétisés ?

Les ingrédients qui manquent dans Stirner est le concept de la conscience non ordinaire. La réalisation du moi unique (ou de l'ubermensch) doit se réverbérer et s'étendre comme les vagues ou les spirales ou comme la musique qui embrasse l'expérience directe ou la perception intuitive du caractère unique du moi réalisé. Cette réalisation submerge et efface toute dualité, toute dichotomie et la dialectique aussi. Elle porte en elle-même, comme une charge électrique, un sens intense de valeur : elle "divinise" le moi.

Etre/Conscience/Béatitude (satchitananda) ne peuvent être simplement d'autres "fantômes" stirnériens ou d'autres "roues dans la tête". Cela n'invoque pas exclusivement le principe transcendant pour lequel le Einzige doit sacrifier son unicité. Cela exprime simplement que la conscience intense de l'existence elle-même résulte en une béatitude - ou en langage moins chargé en une conscience évoluée. Après tout le but de l'Unique est de posséder tout ; le moniste radical atteint ce but en identifiant le moi avec la perception, comme le peintre chinois devient le bambou et ainsi peut se peindre lui-même.

Malgré tout l'"union des Uniques" de Stirner et l'exaltation de la vie de Nietzsche, leur individualisme semble quelque peu drapé dans une attitude de froideur vis-à-vis des autres. En partie ils réagissaient contre l'attitude suffocante du 19e siècle, de son altruisme et de sa sentimentalité… Mais en partie aussi ils ont renié ce que quelqu'un (Mencken ?) a appelé l'"Homo Boobensis".

Et cependant, en lisant derrière et en dessous de la couche de glace, nous découvrons des traces d'une doctrine ardente - ce que Gaston Bachelard aurait pu appeler "une Poésie de l'Autre". La relation de l'Einzige avec l'Autre ne peut être définie ou limitée par une institution ou une idée. Et déjà clairement, et cependant paradoxalement, l'Unique dépend de la complémentarité avec l'Autre et ne peut et ne sera pas réalisé par une isolation absolue.

Les exemples des "enfants loups" ou enfants sauvages suggèrent que l'enfant humain privé de la compagnie humaine pendant une trop longue période n'atteindra jamais à la conscience humaine - et n'acquérra jamais le langage. L'Enfant Sauvage fournit, peut-être, une métaphore à l'Unique - et marque cependant simultanément le point précis où se rencontrent l'Unique et l'Autre afin de s'unifier - ou bien échouent à atteindre et à posséder tout ce dont ils sont capables.

L'Autre est Miroir du Moi - l'Autre est notre témoin. L'Autre complète le Moi - l'Autre nous donne la clé de la perception de l'unicité dans l'être. Quand nous parlons de l'être et de la conscience, nous soulignons le Moi ; lorsque nous parlons de béatitude nous impliquons l'Autre.

L'acquisition du langage tombe sous le signe de l'Eros - toute communication est essentiellement érotique, toutes les relations sont érotiques. Avicenne et Dante proclamèrent que l'amour fait se mouvoir les étoiles et les planètes - le Rig Veda et la Théogonie d'Hésiode proclament tout deux l'Amour comme étant le premier Dieu né à la suite du Chaos. Les affections, les affinités, les perceptions esthétiques, les belles créations, la convivialité - toutes ces précieuses possessions de l'Unique proviennent de la conjonction du Moi et de l'Autre dans la Constellation du Désir.

Ici encore le projet commencé par l'Individualisme peut se voir évolué et revivifié par une greffe avec le mysticisme - et tout particulièrement avec le tantra. Comme technique ésotérique séparée de l'hindouisme orthodoxe, le tantra offre un tissu symbolique ("Un Réseau de Joyaux") pour l'identification des plaisirs sexuels et de la conscience non ordinaire. Toutes les sectes antinomiennes ont contenu quelque aspect "tantrique", des familles de l'Amour et des Frères Libres et des Adamites de l'Europe jusqu'aux soufis pédérastes de la Perse et aux alchimistes taoïstes de Chine. Et même l'anarchisme classique a eu ses moments tantriques : les Phalanstères de Fourier, l'"Anarchisme Mystique" d'Ivanov et autres symbolistes russes fin de siècle, l'érotisme incestueux de Sanine, les étranges combinaisons du nihilisme et du culte de Kali qui inspira le Parti Terroriste Bengali (auquel mon gourou tantrique Sri Kamanaransan Biswas a l'honneur d'appartenir).

Cependant, nous proposons un syncrétisme plus approfondi de l'anarchisme et du tantra que tous ceux-ci. En fait, nous suggérons simplement que l'Anarchisme Individuel et le Monisme Radical doivent être considérés comme un seul et unique mouvement.

Cet hybride a été appelé le "matérialisme spirituel", un terme qui incinère toutes les métaphysiques dans le feu de l'unicité de l'esprit et de la matière. Nous aimons aussi le terme d'"Anarchisme Ontologique" car il suggère que l'être lui-même reste dans un état de "chaos divin" où tout est possible, un état de création continuelle.

Dans ce flux, seul le jiva mukti, ou l'individu libéré est auto-réalisé et donc monarque ou possesseur de ses perceptions et de ses relations. Dans ce flot incessant, seul le désir offre quelque principe d'ordre et donc la seule société possible (comme Fourier l'avait compris) est celle des amants.

L'Anarchisme est mort, vive l'Anarchie ! Nous n'avons plus besoin du masochisme révolutionnaire ou de l'autosacrifice idéaliste - ou de la frigidité de l'Individualisme avec son dédain pour la convivialité - ou des superstitions vulgaires de l'athéisme, du scientisme et du progressisme du 19e siècle. Tout ce poids mort ! Les tristes mallettes prolétariennes, les lourdes malles bourgeoises, les ennuyeux portes manteaux philosophiques - par-dessus bord !

De ces systèmes nous ne voulons que leur vitalité, leur force de vie, leur intransigeance, leur colère, leur puissance, leur shakti. Mais avant de jeter l'inutile par-dessus bord, nous pillerons les bagages de leurs revolvers, de leurs bijoux, de leur drogue et des autres objets utiles, en ne gardant que ce que nous aimons et en jetant le reste. Pourquoi pas ? Sommes-nous des prêtres d'un culte devant garder les reliques et les restes de nos martyrs ?

Le monarchisme aussi a quelque chose que nous voulons - une grâce, une facilité, une fierté, une super abondance. Nous prendrons cela, et jetterons les liens d'autorité et a torture dans les poubelles de l'histoire. Le mysticisme a quelque chose dont nous avons besoin - la maîtrise de soi, la conscience exaltée, des réserves psychiques, la puissance. Cela nous l'exproprierons au nom de notre insurrection - et nous laisserons les liens de la morale et de la religion se décomposer.

Comme les Fulmineurs avaient l'habitude de dire en saluant les "compagnons" - du roi au mendiant - "Réjouis-toi ! Tout est nôtre !"

Hakim Bey
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Message  demoniak01 Jeu 9 Déc - 13:15

Beaucoup de monstres se tiennent entre nous & la réalisation des objectifs Immédiatistes. Par exemple, notre propre aliénation inconsciente & enracinée pourrait tout aussi facilement être prise à tort pour une vertu, tout particulièrement quand elle est mise en contraste avec la bouillie crypto-autoritaire que l'on fait passer pour une "communauté", ou avec les diverses versions chics des "loisirs". N'est-ce pas naturel de prendre le dandysme noir [ndt : en français dans le texte] des ermites pour une sorte d'Individualisme héroïque, quand le seul contraste visible est le socialisme marchand du Club Med, ou le masochisme gemütlich des Cultes de la Victime ? Etre damné & effronté attire bien plus les âmes nobles qu'être "sauvé" & relax.

L'Immédiatisme signifie améliorer les individus en leur donnant une matrice d'amitié, et non pas les déprécier en sacrifiant leur "propriété" [ndt : Bey donne "ownness" que l'on peut traduire par action d'avoir en propriété, d'être propriétaire] à penser en groupe, à l'abnégation gauchiste, ou aux valeurs-clones du New Age. Ce qui doit être vaincu n'est pas l'individualité per se, mais plutôt l'intoxication à l'amère solitude qui caractérise la conscience du XXe siècle (qui n'est de près ou de loin qu'une redite de celle du XIXe).

De loin beaucoup plus dangereux cependant que n'importe quel monstre intérieur de (ce qui peut être appelé) l'"égoïsme négatif", sont ceux de l'extérieur, les monstres très réels & hautement objectifs du Capitalisme en-reTard [ndt : Bey écrit too-Late Capitalisme que l'on pourrait traduire en perdant le jeu de mot par Dernier Capitalisme, Capitalisme Récent.]. Les marxistes (R.I.P.) avaient leur propre version expliquant comment tout cela s'est produit, mais ici nous ne sommes pas intéressés par les analyses abstraites/dialectales des valeurs du travail ou des structures de classes (même si celles-ci peuvent toujours donner lieu à des analyses & ce plus encore depuis la "mort" ou la "disparition" du Communisme). Nous aimerions plutôt souligner quelques dangers tactiques auxquels doit faire face le projet Immédiatiste.

1. Le Capitalisme soutient seulement certains types de groupes, le noyau familial par exemple, ou "les gens que je connais bien au boulot", car de tels groupes sont déjà auto-aliénés & dépendants de la structure Travail/Consommation/Mort. D'autres types de groupes peuvent être permis, mais ne bénéficieront pas du support de la structure sociétale & donc devront faire face à de grotesques challenges & difficultés qui apparaîtront sous la forme de la "malchance".

L'obstacle premier & apparemment innocent à tout projet Immédiatiste sera l'"affairité" [ndt : Bey écrit "busyness", caractère d'être occupé que nous traduisons par "affairité", caractère d'avoir l'air affairé, comme tous ces petits chefs en entreprises...] ou "de gagner sa vie" auquel fait face chacun de ses associés. Cependant, il n'y a ici aucune innocence - seulement notre profonde ignorance de la manière dont le capitalisme lui-même est organisé pour empêcher toute véritable convivialité.

Dès lors qu'un groupe d'amis a commencé à visualiser des buts immédiats réalisables uniquement par la solidarité & la coopération, l'un d'entre eux se verra aussitôt offrir un "bon" job à Cincinnati ou enseigner l'anglais à Taiwan - ou encore retourner en Californie pour s'occuper d'un parent mourant - ou encore ils perdront leur "bons" jobs & seront réduits à un état de misère annihilant leur enjouement véritable dans les buts ou le projet du groupe (c'est à dire qu'ils sombreront dans la "déprime"). Au niveau le plus mondain, le groupe ne parviendra pas à se mettre d'accord sur le jour de la semaine consacré aux réunions car tout le monde est "affairé". Mais cela n'est pas mondain. C'est du mal cosmique par excellence. Nous nous débattons dans l'écume de l'indignation face à l'"oppression" & aux "lois injustes" quand en fait ces abstractions ont peu d'impact sur notre vie de tous les jours - alors que celles qui nous rendent vraiment misérables passent inaperçues, réduites à l'"affairité" ou à la "distraction" ou même à la nature de la réalité elle-même ("Et bien, je ne peux vivre sans un travail !").

Oui, peut-être est-ce vrai que nous ne pouvons "vivre" sans travail - j'espère néanmoins que nous sommes assez grands pour connaître la différence entre la vie & l'accumulation d'une chiée de putains de gadgets. Et encore, nous devons constamment nous souvenir (car notre culture ne le fera pas pour nous) que ce monstre appelé TRAVAIL reste la cible précise & exacte de notre rebelle colère, la seule & unique & plus oppressive réalité à laquelle nous devons faire face (& nous devons apprendre à reconnaître le Travail quand il est déguisé en "loisir").

Etre "trop affairé" pour le projet Immédiatiste, c'est rater l'essence même de l'Immédiatisme. Se battre pour être ensemble chaque lundi soir (ou à quelqu'autre moment), dans l'engrenage de l'affairité ou de la famille ou des invitations à de stupides soirées - cette lutte est déjà l'Immédiatisme en tant que tel. Réussir à vraiment se rencontrer physiquement dans un face-à-face avec un groupe qui n'est pas votre épouse-&-enfants ou les "gars de votre boulot", ou votre Programme en 12 Etapes - & vous avez déjà virtuellement réussi tout ce que l'Immédiatisme appelle de ses voeux. Un projet véritable sortira presque spontanément de cette baffe à la figure de la norme sociale qu'est l'ennui aliéné. Extérieurement, bien sûr, le projet semblera être le but du groupe, son motif pour se réunir - mais en fait c'est l'opposé qui est vrai. Nous ne blaguons pas ou ne nous adonnons pas à une fantaisie hyperbolique lorsque nous insistons sur le fait que se rencontrer face-à-face c'est déjà "la révolution". L'atteindre & la part de créativité viendra naturellement ; comme le "royaume des cieux" elle vous sera comptée. Bien sûr, ce sera horriblement difficile - pour quoi d'autre aurions-nous passé la dernière décennie à essayer de construire notre "bohème dans le mail", s'il était facile de l'obtenir dans quelque quartier latin [ndt : en français dans le texte] ou commune rurale ? La crapule capitaliste qui vous dit d'"atteindre & de toucher quelqu'un" avec un téléphone ou d'"être là" (où ? seul en face d'une satanée télévision ? ?) - ces pompeurs artisans de l'amour essayent de vous transformer en un pathétique petit engrenage, fait de chair et de sang, disloqué & écrasé au sein de la machine de mort de l'âme humaine (& n'entrons pas dans des discussions théologiques à propos de ce que nous entendons par "âme" !). Combattez-les - en vous réunissant avec vos amis, en ne consommant ou en ne produisant pas mais en prenant plaisir à l'amitié - & vous aurez triomphé (du moins pour un moment) de la plus pernicieuse conspiration dans la société EuroAméricaine d'aujourd'hui - la conspiration visant à faire de vous un corps vivant galvanisé par la prostration & la terreur du manque - à vous transformer en fantôme hantant votre propre cerveau. Ce n'est pas une histoire sans importance ! C'est une question d'échec ou de triomphe !

2. Si l'"affairité" & la "fissuration" [ndt : terme quasiment intraduisible qui fait appel à l'action de séparer] sont les premiers échecs possibles de l'Immédiatisme, nous ne pouvons pas dire que son triomphe devrait être synonyme de "succès". La deuxième menace majeure pour notre projet peut être décrite simplement comme le tragique succès du projet lui-même. Disons que nous avons triomphé de l'aliénation physique & nous nous sommes réellement réunis, avons développé notre projet & créé quelque chose (un édredon, un banquet, un jeu, un éco-sabotage, etc.).A moins d'avoir gardé un secret absolu - ce qui est probablement impossible & en tous les cas constituerait un égoïsme quelque peu empoisonné - les autres en entendront parler (les autres de l'enfer pour paraphraser les existentialistes) - & parmi ceux-ci, certains seront des agents (conscients ou inconscients, cela importe peu) du Capitalisme Attardé. Le Spectacle - ou tout ce qui peut l'avoir remplacé depuis 1968 - est avant tout vide. Il se remplit lui-même tel un Moloch avalant les idées & puissances créatrices de tout un chacun. Il désire votre "subjectivité radicale" plus désespérément qu'aucun autre vampyre ou flic ne désire votre sang. Il veut votre créativité beaucoup plus même que vous ne la voulez vous-même. Il mourrait à moins que vous ne le désiriez & vous le désirez uniquement s'il semble vous offrir les désirs essentiels dont vous rêvez, seuls en vos solitaires génies, déguisés & revendus à vous en tant que marchandises. "Ah, la métaphysique manigance des objets !" (Marx cité par Benjamin).

Soudain, il vous apparaîtra (comme si un démon vous l'avait soufflé à l'oreille) que l'art Immédiatiste que vous avez créé est si bon, si frais, si original, si fort comparé à toutes les merdes sur le "marché" - si pur - que vous pourriez l'écouler & le vendre & en faire un gagne pain, ainsi vous pourriez vous débarrasser du TRAVAIL, acheter une ferme à la campagne & faire de l'art pour toujours. Et peut-être est-ce vrai. Vous pourriez... après tout, vous êtes des génies. Mais vous feriez mieux de vous envoler vers Hawaii & de vous jeter dans un volcan en activité. Pour sûr, vous pourriez avoir du succès ; vous pourriez même avoir 15 secondes aux Nouvelles du Soir - ou un documentaire de P.B.S. sur votre vie. Oui vraiment.

3. Mais c'est là que surgit le dernier monstre majeur ; il traverse les murs du salon & vous renifle (si le Succès ne vous a pas déjà "gâté", bien entendu).

Car afin de réussir vous devez d'abord être "vu". Et si vous êtes vu, vous serez perçu comme mauvais, illégal, immoral - différent. Les principales sources d'énergie créative du Spectacle sont toutes en prison. Si vous ne faites pas partie d'un noyau familial ou des visiteurs du Parti Républicain, alors pourquoi vous rencontrez-vous chaque lundi soir ? Pour prendre des drogues ? Pour du sexe illicite ? Pour de l'évasion fiscale ? Pour le satanisme ?

Et bien sûr, il y a de fortes chances que votre groupe Immédiatiste soit engagé dans quelque chose d'illégal - car presque tout ce qui est source de joie est en fait illégal. Babylone hait quand quelqu'un jouit vraiment de la vie, plutôt que de simplement dépenser de l'argent dans la vaine tentative d'acheter l'illusion de la joie. La dissipation, la gloutonnerie, la surconsommation boulimique - ceux-là ne sont pas seulement légaux mais obligatoires. Si vous ne vous perdez pas vous-mêmes dans le vide des marchandises vous êtes évidemment bizarres & devez par définition être brisés par quelque loi. Le véritable plaisir dans cette société est plus dangereux qu'une attaque de banque. Au moins les braqueurs de banques partagent le respect des Masses pour l'argent des Masses. Mais vous, vous les pervers, vous méritez d'être brûlés sur le bûcher - & voici venir les paysans avec leurs torches, désireux de faire la volonté de l'Etat sans que cela leur soit même demandé. Maintenant vous êtes les monstres & votre petit château gothique Immédiatiste est submergé par les flammes. Soudain les flics grouillent hors de la boiserie. Vos papiers sont en ordre ? Avez-vous le permis d'exister ?

L'Immédiatisme est un pique-nique - mais il n'est pas facile. L'Immédiatisme est le chemin le plus naturel pour d'imaginables humains libres - il est donc la plus a-naturelle abomination aux yeux du Capital. L'Immédiatisme triomphera mais seulement au prix de l'auto-organisation du pouvoir, de la clandestinité & de l'insurrection. L'Immédiatisme est notre délice, l'Immédiatisme est dangereux.
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Message  alangaja Jeu 9 Déc - 19:30

heu, c'est sympa de participer au forum, mais je ne lis jamais les pavés, sauf exception : doc historique par exemple.
alangaja
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http://www.freewebs.com/alangaja/fascisme2.html

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Message  ivo Jeu 9 Déc - 22:59

pour hakim bey je te conseille un effort Wink
ivo
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http://gravos.110mb.com/

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