Psychatrie

Psychiatrie : la loi s’aliène médecins et malades
Santé. Associations d’usagers et psychiatres s’unissent contre la réforme, qui repasse aujourd’hui au Sénat.

Par ERIC FAVEREAU

Une infirmière ferme à clef la porte d'un patient en chambre d'isolement, en 2006 à l’hôpital psychiatrique Saint-Jean de Dieu à Lyon. (© AFP Jean-Philippe Ksiazek)

Un coup de tonnerre. Alors que va s’achever, aujourd’hui, le parcours législatif du texte sur la psychiatrie par une seconde lecture au Sénat, les associations de malades mentaux viennent de prendre une position extrêmement violente : «C’est le retour des chaînes, lâche Claude Finkelstein, présidente de la Fnapsy (1). Ce projet de loi, s’il est voté, constituera un recul de notre société, remettant les chaînes qui avaient été ôtées aux aliénés.»

Cette femme très respectée ne décolère pas. Elle est allée en fin de semaine dernière au Parlement européen accompagnée d’Yvan Halimi, président de la Conférence médicale des hôpitaux psychiatriques, pour dénoncer ce texte. Le projet vise à instaurer des soins sous contrainte, y compris à domicile ; il prévoit une période de soixante-douze heures où le patient est hospitalisé sans le moindre regardextérieur. Il ouvre aussi la possibilité d’une hospitalisation sous contrainte à la seule demande du directeur de l’établissement. La prise en charge des malades mentaux est ainsi abordée sous un angle sécuritaire, et non plus sanitaire.

Et pourtant, la mobilisation contre le projet a été assez faible, ou plutôt éclatée. Chacun est resté dans son coin. Les psychiatres, autour du Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire, ont mis en avant «l’éthique de [leur] profession». Les associations de malades, bien que très réservées, ne voulaient pas se faire embrigader par les organisations de psychiatres. Le gouvernement en a profité pour passer entre les gouttes.

La donne a changé, le ministère de la Santé se retrouvant seul à défendre ce projet. «Devant le Parlement européen, usagers et professionnels, que nous représentons, déclarons la psychiatrie française en deuil, ont annoncé à Strasbourg Yvan Halimi et Claude Finkelstein, arborant la Légion d’honneur que leur avait remise, il y a près de deux ans, le Président. Nous savons que la maladie peut porter des moments de violence sur soi ou sur autrui, surtout quand elle n’est pas soignée. Mais une loi sur la psychiatrie ne peut se réduire à ce domaine particulier du soin [sécuritaire, ndlr], en oubliant que la personne malade, dans l’immense majorité des cas, va voir son état s’améliorer et va comprendre qu’elle a besoin de soins.»

Ces deux personnalités ont mis en cause les pouvoirs publics «qui ont décidé de placer usagers et professionnels de la psychiatrie en législation d’office. Peut-on promulguer une loi sans un minimum d’adhésion des professionnels qui seront amenés à l’appliquer ?» Et de conclure : «Au pays des droits de l’homme, l’hôpital ne peut être une zone de non-droit pour nos concitoyens usagers en santé mentale, qui n’ont plus les mêmes droits que les autres. La lettre de cachet est de retour. C’est pour le dire avec force que nombre d’entre nous ont décidé d’évoquer Guantánamo, d’autres de porter l’insigne noir des heures sombres.»

Une manifestation est prévue cet après-midi sur le refus de la loi devant le Sénat.