Pakistan, la poudrière nucléaire

L'attaque des Talibans pakistanais contre le quartier général de l'armée fait resurgir le spectre d'une prise de contrôle islamiste de l'arsenal nucléaire du Pakistan

L'horreur est quotidienne au Pakistan. Lundi matin, l'attentat du jour s'est produit sur le marché d'Alpuri, dans le district de Shangla, au nord-ouest du pays. Le kamikaze visait un convoi militaire. Le dernier bilan fait état de 41 morts, dont 35 civils. Vendredi, c'était une voiture piégée à Peshawar, 52 morts.

Ce week-end, la prise d'assaut du quartier général de l'armée pakistanaise par les milices islamistes s'était conclue dimanche par un énième bain de sang: 22 morts, dont huit assaillants, onze soldats et trois otages. L'attaque a été revendiquée lundi par le TTP, les Talibans pakistanais fidèles à Baitullah Mehsud, leur chef tué par un missile américain début août. Leur nouveau leader, Hakimullah Mehsud, trop vite annoncé mort par les autorités, a juré de venger son prédéceseur dans une récente déclaration vidéo.

Perpétrée dans l'ancienne capitale Rawalpindi, cette attaque se distingue notamment par son caractère non-suicidaire. Pas de véhicule piégé ni de ceinture d'explosif, comme si l'objectif était de prendre le contrôle du siège de l'Etat-major pakistanais pour démontrer la force de frappe des terroristes, capables de défier le pouvoir militaire jusqu'en son coeur.
Bombe islamiste

Cette vulnérabilité apparente de l'appareil militaire relance les inquiétudes internationales relatives à une potentielle prise de contrôle de l'arsenal nucléaire pakistanais par les islamistes, synonyme de déclenchement immédiat d'une crise planétaire gravissime.

Interrogé par Libération.fr, Olivier Guillard, spécialiste de la région et directeur de recherche à l'Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), se dit très préoccupé: «Jamais je n'aurais imaginé possible l'attaque du QG militaire à Rawalpindi, qui est une ville-garnison hautement sécurisée. Si les Talibans ont réussi à pénétrer la puissante institution qu'est l'armée pakistanaise, comment ne pas imaginer qu'ils soient aussi capables de prendre le contrôle d'installations nucléaires ?»

En visite à Londres, la Secrétaire d'Etat Hillary Clinton a une fois de plus réaffirmé sa «confiance dans le contrôle du gouvernement pakistanais et de l'armée sur ses armes nucléaires». Son homologue du Foreign office anglais, David Miliband, a de son côté souligné qu'aucun élément, de nature publique ou privée, ne prouvait l'existence d'une menace contre l'arsenal nucléaire pakistanais.
Voisins atomiques

Pas sur que l'Inde l'entende de cette oreille. Son ambassade à Kaboul, déjà visée en juillet 2008 par un attentat-suicide qui avait fait 60 morts, a été ciblée jeudi matin par une autre explosion, causant 17 victimes. L'an dernier, les Indiens avait accusé les services secrets pakistanais de l'ISI, notoirement infiltrés par les Talibans, d'avoir commandité l'attentat. Sans les nommer précisément, le ministre de l'Intérieur de New Dehli les a de nouveau désignés ce lundi en mentionnant dans un communiqué une attaque «en liaison et avec les conseils de milieux du renseignement de la région».

Soucieuse de rappeler qu'elle aussi dispose de l'arme atomique, l'armée indienne a effectué lundi deux tirs de missiles Prithvi-II, capables de transporter des ogives nucléaires sur une distance réduite, jusqu'au Pakistan par exemple. Eviter l'escalade des tensions entre les deux voisins, toujours opposés sur la question du Cachemire Indien revendiqué par Islamabad depuis la partition de 1947, constitue aujourd'hui l'une des priorités de la communauté internationale.
Stratégie américaine

Les dernières orientations stratégiques de Barack Obama sur l'Afghanistan intégrent désormais la problématique pakistanaise de façon explicite. Tandis que le Nobel de la paix doit se prononcer sur l'envoi de renforts supplémentaires sur le front afghan, son porte-parole, Robert Gibbs, a ainsi déclaré que «la plupart, sinon presque tous» les membres d'Al-Qaeda qui chercheraient à s'en prendre à nouveau aux Etats-Unis étaient à présent au Pakistan.

Faute de solution alternative, les Américains devraient poursuivre leur aide militaire au gouvernement pakistanais, à condition que ce dernier prouve sa détermination à combattre Al-Qaeda et les Talibans. Les opérations conjointes se concentrent actuellement sur la province du Sud-Waziristan, bastion des extrémistes au nord-est du pays. Dimanche et lundi, des bombardements de repaires présumés des TTP à proximité de la frontière afghane auraient ainsi fait 31 morts parmi les combattants islamistes.

Pour Olivier Guillard: «Le Pakistan est un pays à vau-l'eau. L'absence d'un fort leadership a la tête de l'Etat, conjuguée à une déliquescence économique et à des infiltrations des mouvements fondamentalistes à tous les niveaux, crée une situation très fragile et potentiellement explosive».